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au lendemain de Salamine et de Platée, la société athénienne se reconstituer. Entre les grandes familles avec leur héréditaire prestige et ce peuple qui devenait d’année en année plus nombreux et plus entreprenant, les forces paraissaient à peu près balancées. Le parti aristocratique représentait la propriété foncière, le parti démocratique la propriété mobilière. Pendant des siècles, il n’y avait guère eu d’autre manière d’être riche que de posséder beaucoup de terres et de troupeaux ; c’était le commerce qui, depuis le moment où Athènes était maîtresse des mers, avait fait travailler l’argent et créé ainsi une nouvelle forme de la richesse. Les laboureurs de la plaine et les vignerons des collines tournées vers Athènes, cultivant les meilleures ou, si l’on veut, les moins mauvaises terres de l’Attique, avaient dû acquérir de l’aisance et devenir peu à peu propriétaires d’une partie tout au moins du sol. Voisins de la ville où leurs affaires les amenaient sans cesse, il leur était plus facile d’assister régulièrement aux assemblées et de s’y imprégner de l’esprit nouveau, de s’associer aux réclamations et aux ambitions de la petite bourgeoisie urbaine. Au contraire les habitans de ces districts reculés, auxquels il fallait pour gagner Athènes une grande journée de marche, s’y rendaient bien moins souvent ; ils n’y paraissaient que de loin en loin. Plus disséminés, plus pauvres et plus rudes que leurs concitoyens de la ville et du port, ils restaient sans doute plus soumis à la tradition, plus fidèles aux anciens usages, plus respectueux envers les riches propriétaires qui de père en fils possédaient de vastes domaines dans ces montagnes, livrées en grande partie à la vaine pâture. L’aristocratie ne pouvait manquer de compter beaucoup de cliens parmi ces vignerons, ces bûcherons et ces bergers. Là, dans les rangs de ces montagnards accoutumés aux durs ouvrages, se trouvaient ces « soldats de Marathon, » ces Marathonomaches, comme dit Aristophane, qu’il célèbre comme les vrais représentans de l’ancienne énergie et des vieilles vertus nationales. Accoutumés à vivre sous le patronage d’eupatrides dont la demeure patrimoniale était la plus belle maison de leur village et dont la généalogie se rattachait à des légendes et à des religions locales, ces hommes, quand ils descendaient à Athènes pour assister à l’assemblée, appuyaient en général de leur vote les chefs de ce que nous appellerions dans la langue de la politique moderne le parti conservateur.

C’est sans doute à une ancienne famille, qui avait là ses propriétés et son influence héréditaire, qu’appartenait Antiphon, du bourg de Rhamnunte, l’homme qui, pendant la guerre du Péloponèse, fut, sans jouer en public le premier rôle, la plus forte tête et le véritable meneur du parti aristocratique. Pur malheur, si nous en savons as-