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Antiphon : c’est à la fois un type curieux et aristocrate athénien et un écrivain d’une haute valeur, le maître et le modèle du plus grand historien de l’antiquité, de Thucydide.


I.

Antiphon, fils de Sophilos, était du bourg de Rhamnunte, situé sur la côte septentrionale de l’Attique, en face de l’Eubée, au milieu d’âpres montagnes. Ce canton sauvage et privé d’eau, avec sa plage qui n’a point de ports, avec les profonds ravins qui le coupent en tout sens, n’a jamais dû être très peuplé, ni posséder une ville florissante par l’agriculture ou le commerce maritime. C’était surtout comme centre religieux, comme domicile d’un culte antique et particulier, celui de la vieille déesse Némésis, c’était aussi comme position militaire sur cette pointe avancée d’où l’on surveille toute l’entrée de l’Euripe que Rhamnunte avait du attirer l’attention des Athéniens. Toujours est-il que, dans le cours du ve siècle et du temps même où vivait Antiphon, on construisit là une acropole tout en marbre blanc, qui, par la perfection de l’appareil, est un des plus beaux modèles aujourd’hui conservés de l’architecture militaire des Grecs. Au-dessus de cette citadelle, qui domine le rivage, se dressaient deux temples, portés sur une terrasse qui, comme l’un de ces édifices religieux et comme la forteresse, est aussi construite en belles assises régulières de marbre. Des deux temples, le plus petit, bâti en pierre, doit, avec son appareil polygonal, être le plus ancien ; on l’a cru parfois antérieur aux guerres médiques. Quant à l’autre, d’après les architectes qui l’ont étudié de près, il rappelle à certains égards le temple de Thésée ; il appartiendrait donc, comme la terrasse qui le soutient, comme la citadelle qui en défendait les abords, à l’âge classique de l’art athénien, à l’époque de Cimon et de Périclès.

Aujourd’hui tout ce district est presque désert ; seuls, quelques archéologues et quelques artistes affrontent ces gorges pierreuses et ces scabreux sentiers ; on prend alors ce chemin pour aller de Marathon à Chalcis et revenir à Athènes par Décélie, entre le Pentélique et le Parnès. Ces raonumens de Rhamnunte offrent des traits curieux qui les rendent intéressans pour le voyageur érudit ; mais de plus les ruines mêmes et le site ont assez de beauté pour dédommager de leur peine ceux qui recherchent surtout le pittoresque. Je n’oublierai jamais les quelques heures que j’ai passées là, il y a déjà quelque temps, par une radieuse matinée d’avril. Pendant que nous examinions ce qui restait des anciens sanctuaires et de leurs défenses, notre guide songeait au déjeuner ; il avait