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faut qu’il émigre au-delà de ses frontières. » Les Slaves en savent quelque chose. C’est ainsi que le Mecklembourg, la Poméranie, la province de Prusse proprement dite, la Lusace, la Silésie, ont été successivement conquis sur eux pendant les derniers siècles, et sont aujourd’hui pour la plus grande partie germanisés. En Bohême et en Moravie, la colonisation allemande a pris une telle extension, elle a tellement prospéré sous la protection du gouvernement de Vienne, qui tendait alors à germaniser l’état autrichien, que les Allemands s’y considèrent maintenant établis au même titre que la population indigène, et que, ne pouvant plus commander en maîtres, ils veulent y jouir de privilèges comme nation et former un état dans l’état. Le patriotisme aujourd’hui réveillé de la nation bohème ou tchèque, cette vaillante avant-garde du monde slave, empêche désormais tout nouvel empiétement des Allemands en Bohême, et c’est un beau spectacle que celui de ce petit peuple luttant avec énergie et succès contre l’influence oppressive du germanisme. Dans le courant de ce siècle, il a su reconquérir sa langue, à demi oubliée par lui-même, et se créer une littérature tous les jours plus florissante et plus vivace. L’Allemagne aura beau faire, elle doit renoncer à germaniser la Bohême, et le patriotisme indigène y est si puissant, si communicatif, qu’une partie des Allemands du pays risque, comme le constate avec douleur M. Bœckh, d’être absorbée par la nation tchèque.

Moins heureuse que la Bohême, la Pologne enchaînée ne peut opposer une digue au flot montant du germanisme. Elle est tous les jours, même dans ses provinces soumises au joug russe, de plus en plus inondée par l’émigration allemande. M. Bœckh évalue qu’environ trois cinquièmes du territoire polonais « sont tellement entremêlés de villages et d’habitans allemands que les deux nations y vivent côte à côte. » Ces colonies allemandes éparses sur le sol polonais sont, aussi bien que la population indigène, menacées de russification par le gouvernement de Saint-Pétersbourg, car la Russie, sentant le danger que lui préparent les visées du pangermanisme, loin d’attirer encore chez elle des colons allemands comme elle faisait autrefois, cherche à s’assimiler ceux qui vivent aujourd’hui dans ses différentes provinces, polonaises, esthoniennes, kalmoukes et autres. Les mesures de prudence qu’elle prend à cet effet scandalisent et alarment l’Allemagne. Aussi M. Bœckh appelle-t-il la protection de l’Allemagne sur les Allemands dispersés dans les différentes provinces de l’empire russe, surtout sur ceux qui s’établissent en si grand nombre en Pologne, tout près de leur mère-patrie. Il donne discrètement à entendre, et cela plus d’une fois, que l’Allemagne devra un jour faire la guerre à la Russie à