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cune, le pangermanisme était disposé à « empiéter » sur ce que les Allemands avouent être foncièrement français. Le but qu’ils poursuivent dans leurs subtiles discussions sur la nationalité se dévoile donc ; on voit percer le désir de conquête qui ne cherche qu’un prétexte dans la prétendue « oppression » de l’Alsace et de la Lorraine. Cette convoitise des trois-évêchés, qui sont de langue et de nationalité françaises, montre avec quel scrupule l’Allemagne victorieuse appliquera le « principe de la nationalité. »

Si cette théorie de la langue et de la race que prône M. Bœckh devait l’emporter et recevoir une application équitable au profit de toutes les langues et de toutes les races, quelle confusion s’introduirait dans la délimitation des frontières en Europe, et comme l’Allemagne elle-même serait étrangement amoindrie ! M. Bœckh avoue lui-même que des populations de langue autre que l’allemand entrent pour un neuvième dans la population totale de la Prusse, proportion de beaucoup plus forte que celle de l’élément allemand en France. À part quelques milliers de Wallons aux environs de Malmédy, dans la Prusse rhénane, et les Danois du Slesvig, ce sont des populations slaves qui composent ce neuvième non encore germanisé de la monarchie prussienne[1]. Ces populations slaves, que les Allemands ont soumises il y a quelques siècles, sont depuis longtemps assimilées à l’Allemagne par la langue, les mœurs et les sentimens. Danzig et Breslau ne se rappellent sans doute pas qu’elles ont été des villes polonaises, et ce ne serait

  1. On peut se rendre compte de la proportion des élémens non allemands dans le royaume de Prusse par des chiffres que nous empruntons à une publication officielle du ministère de l’instruction publique en Prusse. C’est le tableau des différentes langues parlées par les enfans qui fréquentaient les écoles primaires à la fin de 1864. Le nombre de ces enfans était de 2,938,679, et le rapport des différentes langues nous est donné tel qu’il suit par le ministère prussien de l’instruction publique :
    Allemand 2,509,482 (85,4 %)
    Polonais (provinces de Prusse, de Silésie, de Posnanie, et quelques communes de l’arrondissement de Cœslin) 384,475 (13,1)
    Lithuanien (arrondissemens de Kœnigsberg et de Gumbinnen) 17,156 (0,6)
    Wende (arrondissemens de Francfort-sur-l’Oder et de Liebnitz 13,441 (9,4)
    Morave (arrondissement d’Oppeln) 9 917 (0,3)
    Wallon (arrondissemens de Dusseldorf et d’Aix-la-Chapelle) 1,895 (0,06)
    Tchèque (arrondissemens de Breslau et d’Oppeln) 1,745 (0,05)
    Hollandais (arrondissement de Dusseldorf) 568


    (Renseignemens statistiques sur l’enseignement primaire en Prusse pour les années 1862-1864, Berlin, 1867.)