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d’un Parisien qui partage en ce point l’opinion des départemens. Or il n’est pas un département où l’on n’entende encore et toujours accuser Paris de menacer tour à tour la sécurité, la liberté et la prospérité du pays. Paris est la grande fabrique des révolutions ; qui soulève Paris bouleverse la France. Paris est la place forte de la centralisation ; qui tient Paris domine la France. Paris attire et accapare les populations, les talens, les richesses, les gens d’affaires et les gens d’esprit ; qui grandit Paris dépouille la France. Ces terreurs et ces reproches sont universellement répandus. Quels événemens auraient pu les réduire au silence ? Est-ce la journée du 4 septembre, dans laquelle Paris, changeant en une heure, à lui seul, le gouvernement du pays, s’est montré une fois de plus le maître de la France ? est-ce la journée du 31 octobre, où les hommes de Belleville se sont crus un moment les maîtres de Paris ?

On sait, et M. de Tocqueville a rappelé que dans l’ancien régime, au xviie et au xviiie siècle comme au xixe la France était déjà de tous les pays de l’Europe celui où la capitale avait acquis le plus de prépondérance sur les provinces, et absorbait le mieux tout l’empire[1]. Quand Louis XIV, après avoir plus que personne contribué aux développemens et à la dictature de Paris, commençait à s’en effrayer, il défendait de bâtir. Depuis lors, on s’y est pris d’une autre façon. Nés l’un et l’autre d’un coup de force dans Paris, le gouvernement de 1848 et le gouvernement de 1851 ont cherché à contenter Paris en y multipliant les travaux, et à le comprimer en soumettant ses habitans à un régime dictatorial. Pour apaiser le Paris de l’industrie, on a développé le Paris du luxe ; pour punir le Paris politique, on a frappé le Paris municipal. Singulière idée ! on a cru que les passions étaient désarmées parce que les finances n’étaient pas contrôlées. Ni les interdictions de bâtir n’ont empêché Paris de s’étendre, ni les interdictions de voter n’ont empêché les Parisiens de se soulever. De très bons et de très nombreux esprits songent à un troisième moyen plus radical, qui serait la translation du siège du gouvernement futur dans une ville de province. Paris serait destitué de ses fonctions de capitale pour cause d’insubordination habituelle.

Mais une mesure telle que le déplacement de la capitale d’un peuple ne peut se décréter à titre de représailles. Aussi ne manque-t-on pas de chercher de solides raisons pour démontrer que la ville de Paris, avec sa population toujours croissante, ses palais et ses ateliers, ne peut plus être le siège du gouvernement stable que la paix publique réclame, ni du gouvernement simple qui convient à un peuple démocratique. Regardez en effet le plan de cette vaste

  1. L’Ancien Régime et la révolution, ch. VII.