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III.

Quiconque a vu d’un peu près les mobilisés peut affirmer qu’ils forment une des parties les plus solides de la défense de Paris. Leurs défauts de la première heure disparaissent tous les jours. Cette armée nouvelle sera pour les troupes de ligne et pour les mobiles un encouragement à bien faire ; ces ouvriers et ces bourgeois voudront ne le céder en rien aux soldats. Leur présence sur le champ de bataille aura un effet moral excellent pour ceux qui depuis trois mois supportent seuls les attaques de l’ennemi, et seraient parfois tentés de croire qu’on les sacrifie. Au point de vue du succès, 100,000 hommes de plus constituent certainement une force avec laquelle nos ennemis devront compter. Et du reste, quel que doive être le résultat de nos efforts autour de ces murs où le sort des armes ne saurait plus décider sans retour de la fortune de la France, car à cette heure la guerre est partout, l’énergie que Paris a montrée ne lui laissera aucun regret. La garde nationale mobilisée aura sur le pays une influence qui ne finira pas avec la lutte présente.

C’est une chose bonne en soi pour toutes les classes de la société de se voir de près, de se connaître, d’apprendre combien sont faux les préjugés qui les séparent. Entre tous les hommes de cette grande ville, il n’y a que des différences de culture intellectuelle ; ce qu’ils sont, ils le doivent à l’éducation qu’ils ont reçue. Tout compte fait, le hasard seul est le plus grand coupable. Les natures les plus simples, on le voit bien vite, ont une docilité qui n’est que le respect du faible pour le fort, respect honorable et bon. Il faut les comprendre, s’expliquer leurs caractères ; elles ne résistent pas à l’action d’une supériorité véritable. Un homme qui les connaissait bien, l’auteur des Secrets du peuple de Paris, M. Corbon, a développé cette thèse avec une rare élévation. La vérité en est absolue. En général, nous ne connaissons pas les hommes dont nous sommes séparés par les habitudes sociales. Toutes nos relations nous les font voir sous un jour faux ; nous ne vivons pas avec eux d’égal à égal, comme à l’armée, où le costume, le danger, la chambre, la table, tout est commun. Ce n’est pas pour avoir secouru en passant des pauvres, fait quelques commandes à des inférieurs, qu’on peut juger des caractères aussi complexes. Les philosophes s’exercent à bien connaître les traits distinctifs de la nature humaine dans les classes différentes de la société ; nous sommes tous philosophes sans y songer aux avant-postes, et l’esprit public ne peut qu’y gagner. L’avenir montrera combien ce mélange d’hommes étrangers si longtemps les uns aux autres est salutaire au progrès du bon sens national et de la véritable fraternité.