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LA POLITIQUE D’ENVAHISSEMENT.

plus flagrantes, trouvait toujours de bonnes raisons pour démontrer qu’il était dans son droit. Avant chaque guerre entreprise par les soldats de la Prusse, on a trouvé des écrivains prussiens pour prouver que la guerre était juste. Comme les juristes de Louvois plaidaient pour lui au sujet de la Belgique ou du Luxembourg, les professeurs de Berlin ont enseigné scientifiquement que le Slesvig est la propriété légitime du roi Guillaume, que la Saxe et la Bavière doivent lui être subordonnées, qu’enfin l’Alsace et la Lorraine doivent faire partie de l’Allemagne, c’est-à-dire de l’empire de Guillaume. Un des traits de l’habileté de Louvois était d’éviter pour lui-même le rôle d’agresseur et de le faire prendre à ceux qu’il attaquait. Rien n’est plus curieux que de suivre dans sa correspondance les efforts qu’il fit pour déterminer l’Espagne à lui déclarer la guerre. L’Espagne ne tomba pas dans le piège ; mais les ennemis de M. de Bismarck ont été moins habiles ; le Danemark, l’Autriche et la France ont pu paraître un moment les agresseurs. D’ailleurs toute l’adresse de Louvois a été dépassée de bien loin par cette admirable scène de comédie où l’on vit un roi qui depuis longtemps était prêt pour la guerre, qui l’avait voulue, qui en avait fourni l’occasion, qui l’avait fait éclater au moment choisi par lui, et qui voyait son ennemi tomber dans ses filets, recevoir en pleurant la déclaration de guerre et s’en remettre à la grâce de Dieu.

Toute espèce de guerre apporte avec elle des maux inévitables ; mais la guerre de conquête en entraîne plus qu’aucune autre. Que deux puissances également civilisées se fassent la guerre pour des principes, ou pour un point d’honneur, ou pour des intérêts commerciaux, elles se feront le moins de mal qu’il sera possible. Elles ne verseront le sang qu’au tant qu’il le faudra ; elles arrêteront le duel aussitôt qu’elles pourront l’arrêter ; elles réprouveront surtout le pillage et l’incendie. Il n’en est pas ainsi des guerres de conquêtes. La politique d’envahissement en effet suppose la cupidité aussi bien que l’ambition. À l’envahisseur il ne faut pas seulement des territoires et des places fortes, il faut de l’argent. Dans toute autre sorte de lutte, le vainqueur peut dire qu’il est assez riche pour payer sa gloire ; mais la guerre d’invasion ne peut pas avoir de ces délicatesses. Elle veut des profits réels et palpables. Pour elle, la victoire ne serait pas la victoire, s’il n’y avait à la suite une contribution de guerre. Nous devons reconnaître qu’en ce point Louvois a donné l’exemple aux hommes d’état de la Prusse, et, si on l’a surpassé, ce n’est qu’en l’imitant. Il a en effet, sinon inventé, du moins régularisé le système des contributions en pays ennemi. Il a décidé, comme si c’eût été un point acquis du droit des gens, que le vaincu devait payer le vainqueur, que l’envahi devait indemniser