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LES FINANCES DE L’EMPIRE.

gets. Le principe auquel s’attacha le gouvernement impérial dans le choix de ses ressources fut celui-ci : toucher le moins possible à l’impôt et surtout à l’impôt direct, user énergiquement de l’emprunt. Il est toujours grave d’augmenter l’impôt. Rien ne réveille l’attention des contribuables comme la moindre atteinte portée à leurs intérêts. Les citoyens les plus dociles, les plus indifférens aux choses de la politique, sortent de leur assoupissement quand on vient leur demander une aggravation de leurs sacrifices. Ils retrouvent l’esprit de discussion, ne manquent pas de critiquer la mesure qui les blesse, et conservent contre le gouvernement une rancune plus ou moins dangereuse. Ce sentiment se manifeste surtout avec vivacité quand il s’agit de l’impôt direct, c’est-à-dire de l’impôt qui ne se confond pas, comme les autres taxes, dans le prix de la denrée, qui constitue une dette spéciale vis-à-vis du trésor, se poursuit par les garnisaires, la saisie et la vente. Les hommes de 1848 ont appris à leurs dépens avec quels ménagemens il faut toucher à cette matière délicate. Que de fois n’ont-ils pas vu se dresser devant eux le fantôme des 45 centimes !

L’emprunt n’offre pas les mêmes dangers ; il n’atteint pas immédiatement le contribuable et n’excite guère ses susceptibilités. Il procure la disponibilité de sommes considérables sans que toute la charge en retombe sur le présent. Quelques arrérages de plus à payer, qui souvent peuvent être couverts par des économies, forment le seul sacrifice demandé au pays. Le contribuable n’est pas arraché aux douceurs de son bien-être, l’esprit de discussion n’est pas réveillé, le gouvernement ne perd rien de sa popularité. Il est vrai d’ajouter que, par ces raisons mêmes, l’emprunt peut devenir, quand on en abuse, un des plus grands dangers de l’état. On éviterait bien des mesures mauvaises, des dépenses inutiles, des fautes, si l’on retirait aux pouvoirs publics ces facilités funestes, si l’on obligeait le présent à supporter toujours les conséquences pécuniaires de ses actes.

L’emprunt offrait trop d’avantages au gouvernement impérial pour qu’il n’en fît pas son principal moyen financier. Il eut du reste en cette matière le mérite d’inaugurer une voie nouvelle. Il démocratisa l’emprunt, si l’on peut se servir de cette expression. Jusque-là, les opérations de ce genre étaient le privilège exclusif des grandes maisons de banque ou des associations de capitalistes. Les emprunts contractés sous la restauration et sous la monarchie de juillet avaient été négociés avec des compagnies françaises ou étrangères, avec les maisons Hope, Baring, etc., ou concédés par voie d’adjudication à divers banquiers et receveurs-généraux, aux maisons Hottinguer, Bagneault, Delessert, Rothschild. Ces opérations