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diminué son importance, et il sentait que la constitution de 1852 ne pouvait effacer dans son cœur les regrets de la charte de 1830. Ne pouvant compter sur ses sympathies, il entreprit au moins de paralyser son mauvais vouloir et d’obtenir sa neutralité par le sentiment de l’intérêt. En s’appliquant à développer la prospérité industrielle et commerciale, à encourager le luxe, à augmenter les besoins et les jouissances, il espérait tuer les passions politiques par la poursuite de la fortune et des satisfactions matérielles, et rallier à la doctrine conservatrice tous ceux qui s’étaient enrichis. Ce fut dans cette vue, aussi bien que pour faciliter le triomphe des théories libre-échangistes, qu’on multiplia tous les moyens de trafic, que les voies de communication furent améliorées et rendues plus nombreuses. La construction des lignes de chemins de fer fut activée, les réseaux succédèrent aux réseaux, on exécuta des travaux dans les rivières et dans les canaux, on abaissa les droits sur la navigation, et l’état intervint dans ces diverses dépenses par de larges subventions. On doit dire que le résultat poursuivi fut en partie atteint. La richesse générale du pays reçut pendant les dix-huit années de la période impériale, surtout jusqu’en 1865, des accroissemens immenses. Avec les fortunes nombreuses qui ne tardèrent pas à se constituer, on vit se répandre, sinon l’amour du régime, du moins le désir de la tranquillité et la crainte de bouleversemens qui pouvaient compromettre les situations acquises.

L’empereur ne puisa pas seulement l’inspiration de ses actes dans le sentiment de sa conservation, mais encore dans une certaine passion de l’éclat et de la gloire. Il voulait que son règne laissât dans la mémoire de la France des souvenirs profonds, et il se livrait à cette tâche avec une précipitation fiévreuse, comme s’il avait la prescience de l’avenir, et qu’il vît déjà marqué le terme de son pouvoir. Il ordonne monumens sur monumens, en active l’achèvement, et fait même noircir la pierre neuve des façades pour obtenir tout de suite une harmonie dont il a peur de ne pouvoir jouir. Son chiffre enlacé dans les sculptures, taillé sur le marbre ou sur l’airain, doit apprendre aux générations futures, en dépit des révolutions, quelle part il a prise aux embellissemens publics. Il s’efforce de mériter ce que l’histoire dit d’Auguste : « il trouva la ville de pierre et la laissa de marbre. » Pour son malheur comme pour celui de la France, il lui était réservé de ne pas se contenter de cette illustration pacifique.

La gloire des armes a le privilège de tenter les princes et de séduire les hommes. La splendeur qu’elle répand procure à l’orgueil d’ineffables ivresses, et donne un éblouissement qui empêche de voiries larmes et le sang dont elle est faite. Par un singulier phé-