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mées. Pour obliger la république à devenir belliqueuse, il avait fallu l’attaquer la première et envahir son sol. Il est vrai que par représailles elle avait envahi à son tour, mais jamais du moins elle ne s’était annexé une province que par le vœu formel de la population. L’empire avait donné ensuite dans l’excès de la guerre ; l’ambition personnelle de l’empereur avait été surexcitée par les provocations incessantes et trop habiles des puissances monarchiques. Elles s’étaient juré de ruiner l’empire par la guerre, et la guerre en effet, en dix ans, épuisa l’empire. Après lui, l’Europe ne songea qu’à la paix. Les peuples se livrèrent au commerce, à l’industrie, au travail de l’esprit ; l’intelligence grandit, et la liberté gagna peu à peu du terrain.

Est-ce la France qui a repris la politique d’envahissement ? Assurément nos guerres en Crimée et en Italie n’étaient pas des guerres d’invasion. La France voulait s’agrandir par le travail, par l’exploitation des richesses de son sol, par le développement aussi régulier que possible de ses institutions, par ses arts et par ses sciences, par ses écoles et par ses livres. Voilà ce qu’elle souhaitait, et il est impossible de citer en France un seul homme d’état qui depuis quarante ans ait poursuivi une autre politique. La république de 1848 ne fut certainement pas envahissante. Lorsque Napoléon III se présenta aux suffrages de la France, il eut grand soin de répudier l’esprit de conquête, et pour faire accepter l’empire il eut besoin de faire cette promesse : « l’empire, c’est la paix. » Comme lui, nos députés, à chaque renouvellement de la chambre, ne se faisaient élire qu’en promettant à leurs électeurs le maintien de la paix et la réduction de l’armée. La France ne voulait plus de conquêtes. Il eût fallu descendre aux dernières couches de notre société, parmi les plus ignorans et les plus naïfs, pour trouver encore des hommes rêvant la guerre d’invasion et souhaitant les provinces rhénanes. Tous les votes plébiscitaires et parlementaires recommandaient une politique pacifique et sans convoitises. Il ne se passait pas une année sans que le corps législatif, dans ses séances publiques ou au moins dans ses commissions, demandât la diminution des dépenses militaires. On lui reproche à la vérité d’avoir accueilli par un vote d’enthousiasme la déclaration de guerre à la Prusse ; mais il faut bien voir ce que signifiait ce vote. L’assemblée qui l’exprima était assurément l’une des plus pacifiques qu’il y eût en Europe ; elle ne vota la guerre que sur la promesse qui lui fut faite que cette guerre amènerait un désarmement général. Ce n’était pas la rive gauche du Rhin qu’elle souhaitait, c’était la réduction des armées et presque la suppression de la guerre dans l’avenir. Son vote, à regarder au fond des choses, fut un vote de paix.