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pousser, nous procurera la force d’écraser les Philistins, c’est un préjugé. On peut faire quelques coups heureux, mais on n’écrase rien de loin. La campagne est large, et les bois sont obscurs. L’ennemi s’y promène, et nous ne savons jamais à un kilomètre près où il faut lancer le boulet pour le rencontrer et lui nuire en proportion de notre poudre dépensée. Si l’on croit que les nouveaux canons sont, comme le fusil Chassepot, des armes à chargement et à tir rapides, c’est encore un préjugé. Ce qui est vrai pour le fusil ne l’est pas pour le canon. La grosseur et le poids des pièces du mécanisme de fermeture, de la cartouche et du boulet, expliquent cette divergence. En fait, l’avantage est pour l’ancien canon, et cet avantage, assez faible quand tout est en bon état, devient considérable par les dérangemens qui se produisent fréquemment dans le mécanisme du canon nouveau, tel qu’il est aujourd’hui. Si l’on pense que les boulets de 7 kilogrammes ont une vertu particulière, que ne possèdent pas les boulets de 8 et de 12 kilogrammes, pour renverser les fortes barricades et les murs crénelés de l’ennemi, c’est plus qu’un préjugé, c’est une faute de calcul. Si l’on ne considère que la portée, la justesse et la tension de la trajectoire, on a grandement raison d’attribuer sous ce rapport une notable supériorité au canon à boulet forcé sur le canon à boulet libre ou semi-libre. Ce fâcheux comité de l’artillerie est lui-même entièrement de cet avis, tant est grande la force de la vérité ; mais la portée, la justesse et la tension ne sont pas tout, et lorsqu’on fait abstraction du reste, on prononce un jugement sans examen suffisant.

Les officiers d’artillerie, dont l’opinion devrait avoir quelque valeur en pareille matière, puisqu’en définitive c’est à eux qu’appartient jusqu’ici la responsabilité de l’emploi des canons, préfèrent unanimement les canons se chargeant par la culasse pour le service des batteries fixes, dont l’emplacement a été étudié et choisi pour commander au loin la campagne, où chaque pièce a un objectif fixe, déterminé, dont la distance est exactement connue d’avance, où l’on a le temps et les moyens de réparer les avaries. Cette unanimité est loin d’exister entre eux pour le service du champ de bataille, où tout est mobile, imprévu, urgent, où il faut toujours finir par s’aborder et s’engager dans les limites de la portée des fusils d’infanterie, et leurs opinions sur ce point convergent vers l’admission des deux espèces de bouches à feu, — les canons commodes, toujours prêts, tirant jusqu’à 3,500 mètres avec les divisions d’infanterie pour les opérations courantes, — les canons portant jusqu’à 5,500 mètres, mais sujets à se détraquer, à la réserve pour les cas particuliers. On pourrait objecter ici, avec quelque apparence de raison, que, si le comité d’artillerie reconnaît la supériorité du ca-