Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
LA POLITIQUE D’ENVAHISSEMENT.

qu’elle semblait fêter une victoire, c’était plutôt l’espérance de paix que la victoire qu’elle fêtait, qu’elle ne souhaitait enfin aucun accroissement et qu’elle se désolait souvent des conquêtes de Louis XIV. Colbert, qui représentait bien mieux que Louvois l’opinion publique, qui d’ailleurs par ses fonctions mêmes était en relations bien plus intimes avec la population, qui était chaque jour au courant de ce que pensait la France par les rapports des intendans, faisait entendre au roi des paroles de paix. C’était la voix de la France qui parlait par sa bouche. La France ne s’associa un moment à Louis XIV que dans la période des grands revers, lorsque le pays fut envahi ; pendant la période des succès, elle ne s’était jamais unie de cœur au roi et au ministre belliqueux. Il y a dans la correspondance de Louvois un mot qui le condamne en absolvant la France ; au milieu des victoires de la guerre de Hollande, il écrivait : « On est travaillé ici du mal de la paix. »

Il n’y a donc aucune raison pour rendre la France responsable de la politique d’envahissement que Louis XIV et Louvois avaient seuls poursuivie ; mais déjà les étrangers se plaisaient à l’accuser d’être dévorée de la manie de la guerre. Les étrangers se sont souvent trompés sur elle. De ce qu’elle est courageuse, ils ont conclu qu’elle est belliqueuse. Ils l’ont appelée « nation inquiète, » parce qu’elle ne tend pas le cou au joug de l’étranger ; ils l’ont appelée « nation agressive, » parce qu’elle ne veut pas voir l’envahisseur sur son sol.

II.

Aurait-on pensé que deux siècles après Louvois il se trouverait des ministres et des hommes d’état qui reprendraient sa politique d’envahissement ? Il y avait longtemps que cette politique semblait reléguée parmi les choses mauvaises du passé. Pendant le xviiie siècle, la monarchie française elle-même n’y avait plus songé : ni Louis XV ni Louis XVI n’avaient visé à faire des conquêtes ; ils avaient entrepris des guerres en vue de maintenir l’équilibre européen ou l’influence française, jamais en vue de s’agrandir. L’ambition et le désir d’empiéter ne s’étaient montrés à cette époque, parmi toutes les familles régnantes, que chez la maison de Hohenzollern. Elle avait, dans la première moitié du siècle, envahi effrontément la Silésie, et dans la seconde elle avait provoqué la Russie et l’Autriche à partager avec elle la Pologne. À part cette maison, la politique d’envahissement paraissait abandonnée. Était venue la révolution française ; non-seulement elle avait annoncé le désir de la paix, mais elle avait ingénument réclamé la suppression des arm-