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L’ARTILLERIE DEPUIS LA GUERRE.

nous fait vivre sur des épines. Napoléon a dit à Sainte-Hélène : « Dans cinquante ans, l’Europe sera républicaine ou cosaque. » Le temps est venu : l’Europe sera cosaque.

Quant aux chefs de l’armée française, les uns n’étaient pas en mesure de donner des conseils, et ne pouvaient voir dans la guerre que l’occasion d’accomplir leur devoir ; les autres, véritables petit-fils des preux d’Azincourt, de Crécy et de Poitiers, marchaient joyeux, en pleine confiance, ne doutant pas un seul instant que la bravoure tient lieu de tout, qu’un Gaulois vaut dix Germains, et certains qu’il n’y avait parmi eux que des Turenne et pas un seul Soubise. En résumé, l’armée française de 1870 était prête, comme elle l’avait été en 1854 et 1859, pour faire la guerre à une armée russe ou autrichienne. Elle n’était pas organisée pour combattre la confédération groupée autour du roi de Prusse. Le maréchal Niel l’avait compris. Il avait fait les plus louables efforts pour dessiller les yeux du pays et de la chambre. Que ce soit par esprit d’économie, par sentimentalisme philosophique ou par toute autre cause, on a fait précisément ce qu’il y avait à faire pour avoir certainement la guerre et pour être ruiné par la guerre. On s’était réduit à ne pouvoir mettre immédiatement en ligne que 240,000 hommes en face de 700,000 ; on avait condamné cette armée à être écrasée au premier échec, si la moindre faute était commise.


II.

En ce qui regarde particulièrement l’artillerie, la loi de finances autorisait l’entretien de 164 cadres de batteries de campagne, 126 batteries montées et 38 batteries à cheval de la garde et de la ligne, pouvant atteler et servir 984 bouches à feu, pas une de plus, et encore fallait-il pour cela rappeler les 10 batteries montées stationnées en Italie et en Afrique. Ces 984 bouches à feu ne pouvaient pas même être mises sur pied instantanément, car le budget ne permettait de payer et d’entretenir que 34,000 hommes et 16,000 chevaux, tandis qu’il fallait 58,000 hommes et 39,000 chevaux pour le complet du pied de guerre des troupes de l’artillerie, qui se composaient, comme on sait, de deux régimens d’artillerie et d’un escadron du train d’artillerie de la garde, de 19 régimens d’artillerie, d’un régiment de pontonniers, de 10 compagnies d’ouvriers, de 5 compagnies d’artificiers et de 2 régimens du train d’artillerie de la ligne. Grâce à l’empressement des canonniers de la réserve à rentrer dans le rang, grâce aux mesures prises pour faire nourrir par les cultivateurs 12,000 chevaux, grâce à l’acti-