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même la place forte de Montroyal entre Trêves et Coblentz. C’était prendre vis-à-vis de l’Allemagne une position offensive qui était aussi dangereuse et aussi contraire au droit que le serait en sens inverse la possession de Metz et de Strasbourg aux mains d’une puissance allemande.

Tous les souverains de l’Europe se sentirent menacés dans leur indépendance. Ils s’unirent pour se défendre, et formèrent la coalition d’Augsbourg. Louvois se jeta résolument dans cette nouvelle guerre qu’il avait provoquée. Il n’en vit pas la fin. Sa mort, qui arriva en 1691, ne modifia pas la marche des événemens ; sa politique se continua fatalement après lui. Louis XIV qu’il avait lancé dans la guerre, ne put pas s’en dégager. Il dut continuer à rouler sur cette pente ; après la guerre de la ligue d’Augsbourg, il fut entraîné, un peu malgré lui, dans la guerre de la succession d’Espagne. Il vieillit de lutte en lutte. À une série de victoires inutiles succéda une série de défaites ; la paix qu’il avait si souvent refusée aux autres lui fut refusée à son tour ; il ne la retrouva qu’aux derniers jours de sa triste vieillesse, et à la veille d’aller rendre compte à Dieu du sang versé.

On peut se demander ce que la France avait pensé de toutes ces guerres. S’était-elle associée à la politique de Louvois et de Louis XIV ? Avait-elle partagé leur ambition ? les avait-elle poussés à la guerre, les avait-elle au moins encouragés ? Avait-elle désiré comme eux l’agrandissement et la conquête ? La France, pendant ces cinquante années de luttes, ne fut jamais consultée. Si elle avait eu des états-généraux, comme au xive siècle, ou des assemblées de notables, comme sous Louis XI François Ier et Henri IV il est vraisemblable qu’on l’aurait vue, comme à toutes ces époques, réclamer l’intégrité du territoire sans demander aucun accroissement ; mais Louis XIV ne réunit ni états-généraux, ni notables, il ne semble même pas qu’il ait jamais songé à s’enquérir de ce que le pays pensait de ses entreprises. Il ne lui vint pas à l’esprit de se faire donner, ne fût-ce que par un simulacre d’assemblée, une de ces vagues procurations que les rois obtiennent facilement de leurs peuples pour la décharge de leur conscience. La France n’eut donc aucun moyen de se faire entendre. Pourtant l’opinion publique perça et se laissa entrevoir. Nous savons par les écrits du temps, par les lettres de Mme de Sévigné comme par celles de Saint-Évremond, par quelques vers de La Fontaine et quelques vers même de Boileau, ce qu’on se disait à l’oreille et ce que chacun pensait à part soi de la politique du roi. Les mémoires, sans parler des pamphlets, prouvent par mille indices que la France n’aimait pas la guerre, qu’elle ne partageait pas l’ambition de Louis XIV que, chaque fois