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puissance d’action, paralysée dans ses ressorts les plus intimes, la France a tout surmonté, elle a tout accepté, les levées en masse, la ruine de ses campagnes et de ses industries, les rigueurs d’un siège extraordinaire.

Assurément ces cinq mois de notre histoire sont à la fois douloureux et fortifians. Moins de trente jours avaient suffi à l’empire pour conduire notre malheureux pays aux dernières extrémités, à ce point où l’on aurait dit qu’il ne lui restait plus qu’à subir l’impitoyable loi du vainqueur. Depuis quatre mois, ce pays, rendu à lui-même, retrempé au feu des vieilles inspirations nationales, résiste, se débat et tient tête à un ennemi qui croyait qu’il n’avait qu’à s’avancer en victorieux pour mettre la main sur sa grande proie, La lutte ne finit point avec l’année, elle s’étend au contraire, elle trompe tous les calculs des envahisseurs, et si, dans un esprit de dénigrement qui trouve toujours de l’écho parmi tous les envieux de l’Europe, on nous accuse encore de forfanterie, d’illusions obstinées, est-ce que nos ennemis n’ont pas eu aussi leurs fanfaronnades ? Est-ce qu’ils n’ont pas rempli le monde de leur jactance, de leurs prédictions de victoires démenties par la réalité ? À les entendre, notre armée de la Loire n’était qu’un ramassis de bandes indisciplinées auxquelles ils ne laisseraient pas le temps de se former, qui se disperseraient aussitôt qu’ils paraîtraient ; elle a tenu pourtant, cette armée, devant leurs chefs les plus renommés et devant leurs forces les plus aguerries ; elle s’est battue pendant dix jours, disputant le terrain pied à pied, et si elle a essuyé des échecs, elle n’a été ni détruite ni sérieusement atteinte, ni surtout ébranlée dans sa résolution patriotique. L’armée prussienne, disait-on, n’avait qu’à se montrer devant Paris, elle devait prendre deux de nos forts quand elle le voudrait ; nos forts sont toujours debout, prêts à recevoir toute attaque, et ceux qui seront tentés de les serrer de plus près sauront probablement ce qu’il leur en coûtera. Paris devait inévitablement tomber d’un jour à l’autre aux pieds du roi Guillaume, on l’avait promis à l’Allemagne tout au moins pour Noël ; Noël vient de passer, Paris tient toujours après trois mois et demi de siège, et par le fait on pourrait dire que les assiégeans ont plutôt reculé qu’avancé dans leurs lignes d’investissement. Sans doute, nous en convenons, dans cette grande cité qui était accoutumée à une autre vie et qu’on s’est flatté de réduire par l’action dissolvante de ses factions intérieures ou de la famine, dans cette vaillante ville qui compte déjà plus de cent jours de défense, on ne fait plus de festins, les vivres sont comptés, toutes les pensées sont sérieuses, et cette dernière heure de l’année qui finit ne sonne pas précisément comme une heure de fête ; mais cette heure sonne-t-elle donc si joyeuse pour nos ennemis ? Est-ce que tout n’est pas un danger pour l’envahisseur, et la ténacité d’une résistance inattendue, et les rigueurs de la saison, et les difficultés crois-