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Comment ! le prolétaire irait pour les défendre,
Lui qui n’a rien à perdre, eux dont on peut tout prendre !
Comment ! étant époux, je suis moins citoyen,
Et la France en danger, je ne lui dois plus rien !
Tiens ! écoute une voix qui parle haut à l’âme !
Entends-tu le canon qui tonne ? Oh ! pauvre femme.
Pauvre mère ! Il en est qui tombent aujourd’hui,
Qui, le pays mourant, se sont levés pour lui.
Pour payer de leur sang ta défense et la nôtre,
Et je n’oserais pas me battre comme un autre !
Et je resterais là, bras croisés, sans rien voir.
Quand il n’en est pas un qui n’ait fait son devoir !
Car tu le veux ainsi, toi l’une des meilleures,
Car tu me vois remplir mon devoir, et tu pleures !
Et tu ne m’as pas mis le fusil dans la main !
Et quand, après cinq mois de jours sans lendemain,
Quand la France est debout tout entière enfiévrée.
Je me lève à mon tour pour la cause sacrée
Qui de chacun de nous eût dû faire un martyr,
Tu dis que je suis fou de songer à partir !
Mais tu ne sens donc pas quel courant nous entraîne ?
Mais tu ne sens donc pas que l’heure est souveraine.
Et qu’il faut à présent oublier un passé
Que tout le sang d’un peuple aura vite effacé !
Toi, Française, au moment où la tempête monte.
Tu te mets froidement du parti de la honte !
Des mots, patriotisme, honneur !… En vérité.
C’est avec ces mots-là qu’on fait l’humanité.
Et si je dois mourir en défendant ma cause,
Je serai mort au moins pour sauver quelque chose !
Mais tu baisses la tête et tu comprends aussi…
— Oui, j’étais lâche… Tiens ! va te battre !
                             — Merci !


III. — l’orphelin.

La mère est accoudée à la table de chêne ;
À ses pieds, l’enfant tient son écheveau de laine.
Et joue en souriant d’un sourire charmant.
Un peintre esquisserait ce tableau-là gaîment :
La mère est jeune, elle à la beauté qui rayonne.
Lorsque les yeux sont doux, et lorsque l’âme est bonne.