Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
LA POLITIQUE D’ENVAHISSEMENT.

sion du roi, et ce règne qui avait promis d’être si pacifique devint l’un des règnes les plus remplis de guerres de l’ancienne France.

À cette époque, l’ambition de s’agrandir par la conquête n’était pas réprouvée par la morale publique. Il faudrait la dissimuler aujourd’hui sous de beaux principes et des mots pompeux ; au xviie siècle, elle pouvait s’avouer hautement. Louis XIV a écrit dans ses mémoires : « L’ambition et l’amour de la gloire sont toujours pardonnables aux princes. » Et il ne disait là que ce que tout le monde pensait. Les peuples détestaient la guerre comme un fléau ; mais ils ne la condamnaient pas encore comme un crime. Elle semblait permise aux souverains. Pour un roi de droit divin, l’ambition était un droit et presque un devoir. Il fallait, pour répondre à la volonté même de Dieu, que le roi fût grand, et que tout l’éclat de la gloire brillât en sa personne. Agrandir son royaume ou sa réputation, c’était servir les desseins de Dieu. Telles étaient les idées de Louis XIV et de Louvois, et c’est en vertu de cet état d’esprit qu’ils purent déchaîner la guerre sans éprouver ni scrupule ni remords.

Mais si la guerre était permise, l’usurpation du bien d’antrui ne l’était pas, et par là les rois de droit divin se trouvaient encore soumis au droit et justiciables de la conscience. C’est sur ce point que devait se signaler surtout l’habileté des ministres. Il fallait qu’ils missent le droit de leur côté, ou tout au moins les apparences du droit. La politique d’envahissement n’avait pas besoin d’autant de dissimulation qu’il lui en faut aujourd’hui ; elle ne pouvait pourtant pas se passer tout à fait de déguisement, une certaine mesure d’hypocrisie était déjà de rigueur.

Aussi voyons Louis XIV et Louvois à l’œuvre. L’objet qui se présentait le plus naturellement à leur convoitise, c’était la Belgique, que les rois d’Espagne possédaient depuis un siècle et demi, non par conquête, mais par héritage. Avant de s’en emparer, il fallait avoir le droit de la prendre. Si Louvois eût vécu de nos jours, il eût allégué quelque principe moderne, il eût prétendu que la Belgique devait appartenir au roi de France, parce qu’elle est habitée par la même race que la France, et parce qu’elle parle la langue française. En 1666, une telle théorie n’entrait encore dans l’esprit de personne, les universités allemandes n’ayant pas encore créé une ethnographie à l’usage des ambitieux ; mais il y avait en ce temps-là un autre principe universellement admis, en vertu duquel les royaumes et les provinces appartenaient aux souverains par droit de succession. Il s’agissait donc de prouver que la Belgique était l’héritage légitime de Louis XIV. On trouva fort à propos dans les codes civils de quelques provinces belges une loi qui, en cas de second mariage, donnait la succession tout entière aux enfans du premier lit. Or il se trouvait en même temps que l’infante d’Espagne, femme