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éducation fut bientôt faite, et, sous la direction de leurs officiers, ils jetèrent dans la nuit du 29 au 30 novembre les ponts sur lesquels nos troupes ont passé. Là comme ailleurs ils se sont montrés expéditifs et vigoureux ; ils ont eu quelques morts, et le jeune enseigne qui les commandait en second a été tué par un obus. Aujourd’hui, dans les engagemens combinés, on les met en tête de colonnes, et ils y marchent comme à l’abordage. C’est une fête pour eux ; quelque poste qu’on leur assigne, ils y font et y feront leur devoir. Ils savent bien que le pays accomplit un suprême effort ; ils s’y associent. C’est une raison de plus de ne pas prodiguer de tels hommes, de mieux mesurer leur emploi, de les garder plus qu’ils ne le font eux-mêmes contre les inégalités des chances. Il est bon de se rappeler, même quand ils l’oublient, que l’élément sur lequel ils combattent n’est pas le leur, que les armes à l’usage de la troupe ne leur sont pas toujours familières, et qu’à force d’intrépidité ils suppléent à l’instruction solide qu’acquièrent des fantassins aguerris.


II.

Pendant qu’à Paris les marins détachés tiennent un si bon rang, que devient la flotte ? Voilà ce qu’on se demande en ne recevant à ce sujet aucun éclaircissement sérieux, ni par des voies officielles, ni par des correspondances privées. Une telle force rester inactive, tant de canons muets, tant d’équipages assistant les bras croisés aux luttes désespérées de la patrie, c’est ce qu’on ne peut ni concevoir ni admettre. Beaucoup s’en affligent, quelques-uns s’en indignent, aucun ne demeure indifférent. Il ne faudrait pourtant pas, dans ces heures d’amertume, se laisser aller à des accusations injustes. Les hommes qui montent la flotte appartiennent au même corps, s’inspirent du même esprit que ceux dont on a pu juger à Paris les services si méritoires. Ce sont les mêmes courages, les mêmes dévoûmens ; c’est le même amour de la patrie, et, s’ils l’eussent pu, ils nous en auraient donné de non moindres témoignages. Comment les juger d’ailleurs dans le silence et les ténèbres qui se sont faits autour de nous depuis plus de quatre mois ? Sait-on ce qu’ils deviennent, ce qu’ils ont tenté, le parti qu’ils ont tiré d’une mission si réduite ? Les journaux ne débitent encore là-dessus que des fables ; mais, avec la connaissance des lieux et des faits, on peut les suppléer.

Voici par exemple une note qu’écrivait de Toulon le 1er juin 1870, c’est-à-dire en pleine paix, deux mois avant les événemens, un officier-général de la marine : « Nos escadres cuirassées, coulées