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Le nom de Godard rappelle naturellement les ballons et les marins qui les montent. Ce fut une idée toute simple que de demander des marins pour en faire des aéronautes, littéralement des matelots de l’air. Pour conduire un ballon, il faut des hommes habitués à garder leur sang-froid à de grandes hauteurs, qu’aucun vertige ne frappe, qu’aucun incident ne trouble, capables de monter dans les cordages de l’appareil pour dégager une soupape ou exécuter telle autre manœuvre. Des hommes de bonne volonté furent demandés dans les forts ; ceux du sud fournirent une quarantaine de braves gens à M. Godard, qui avait installé ses ateliers à la gare d’Orléans ; ceux de l’est en fournirent presque autant à M. Nadar, établi à la gare du Nord. Ils eurent ainsi cette pépinière d’élèves, comme ils les nomment, et dont ils ne parlent pas sans quelque fierté. L’enseignement était des plus sommaires, la fabrication du ballon et la manière de le manœuvrer ; le résultat jusqu’ici a fait honneur aux maîtres. Presque tous les ballons qui ont si heureusement traversé les lignes des Prussiens et nous ont mis en communication avec la province étaient montés par des marins.

Dans la défense de l’enceinte, même concours ; seulement ici le rôle change, l’aspect des lieux, la physionomie des hommes varient ; peu de marins des équipages, tout juste ce qu’il en faut pour le service de quelques pièces de gros calibre ; en revanche beaucoup d’officiers supérieurs, et des états-majors où la marine est largement représentée. Sur neuf secteurs, sept relèvent d’un amiral. Au début, leur tâche ne fut pas facile. Jamais troupe plus bigarrée ne figura sur les remparts : éclaireurs, francs-tireurs, mobiles, soldats de la ligne, du génie et de l’artillerie, bataillons sédentaires ou bataillons de marche de la garde nationale. Comme on le pense, l’esprit de discipline n’y régnait pas toujours, et il fallut aux amiraux qui commandaient beaucoup de modération jointe à beaucoup de fermeté pour en faire respecter les notions les plus élémentaires. La difficulté était d’autant plus grande qu’il s’y ajoutait, en cas de délits, des instructions contradictoires et des conflits de juridiction. D’autres embarras naissaient de la police des portes, qui s’ouvraient ou se fermaient à l’improviste, et relevaient tantôt d’une règle commune, tantôt de mesures d’exception. Pour les travaux, il y avait aussi des tiraillement : le génie exécutait activement et régulièrement ceux qui le concernaient ; mais il existait près de lui une commission des barricades qui multipliait au hasard les encombrement sur la voie publique. En ceci également, il fallut plus d’une fois lutter. Nos amiraux traversèrent tout cela et bien d’autres misères encore, le voisinage d’une maraude éhontée, les désordres des campement de nuit flanqués de cantines, le mauvais