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rieuse pour le transport. On y ajouta une quinzaine de pièces de 19 centimètres de 8,000 kilos et deux de 24 centimètres de 14,000 kilos chacune. La portée de ces trois types, bien vérifiée depuis par des essais répétés, est de 6,200 mètres pour le canon de 16, de 7,000 mètres pour celui de 19, de 8,000 mètres pour celui de 24. Il y avait là de quoi tenir l’ennemi à ces respectueuses distances qu’il n’a jamais osé franchir.

De telles masses n’étaient cependant pas aisées à remuer, d’autant plus qu’il fallait aller vite en besogne. Les chemins de fer ajoutèrent ce tour de force à ceux que, depuis le début de la guerre, ils avaient exécutés, circulation de troupes, de vivres, de munitions, de bagages, d’objets de toute nature. Leur vaillant personnel suffit à tout. En moins de trois semaines, ce large assortiment de canons fut rendu à Paris et déposé au Palais de l’Industrie, d’où il devait être réparti sur les remparts de l’enceinte, dans les forts et dans les redoutes. Chaque fort reçut 6 ou 8 pièces de marine au moins ; les batteries de Montmartre, de Saint-Ouen et des Buttes-Chaumont en furent exclusivement armées, et il en resta un certain nombre au dépôt comme rechange ou comme supplément. Partout où étaient dirigés les canons de marine allaient aussi les marins ; la pièce et les servans étaient inséparables. Ainsi en fut-il pour toutes celles qu’on a détachées soit à poste fixe, comme au Mont-Valérien, soit en service de passage, comme dans les retranchemens de campagne qui ont été improvisés autour et en avant des forts. Mener au feu les engins de combat familiers à nos marins, qui l’eût osé et qui s’en serait acquitté comme eux ? Dès les premiers jours du siège, les récits populaires en faisaient des héros de légende ; quelques journaux avaient même imaginé un canonnier de fantaisie qui à 5,000 mètres de distance mettait à tout coup un boulet dans la coiffe d’un chapeau. On citait également pour ses prouesses un nommé Merger, de Bicêtre, et il n’existait personne de ce nom ni à Bicêtre, ni dans les autres forts. À ce jeu-là, on eût rendu nos braves marins ridicules. Heureusement ils n’étaient pas d’humeur à chercher querelle aux mauvais plaisans. Ils avaient d’ailleurs d’autres juges, les Prussiens ; ceux-là, dans le cours de trois mois de siège, ont pu savoir ce que valent nos canonniers brevetés du vaisseau école.

Pendant que les chemins de fer de l’Ouest et d’Orléans nous apportaient des canons et des obus, celui de Lyon nous rendait un autre service en chargeant sur ses wagons et nous amenant à toute vapeur une petite flottille dont les pièces étaient numérotées. Singulier spectacle que celui de ces bâtimens de mer voyageant sur terre pour arriver à leur destination ! Voici ce qui s’était passé.