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nationaux de cette catégorie ; il s’est chargé encore de leur fournir des vareuses et d’autres effets d’équipement ; enfin il a logé par voie de réquisition les familles immigrées de la banlieue dans les appartemens inoccupés, en ouvrant des crédits à leurs administrations municipales pour soulager les plus pauvres.

On ne pouvait guère se dispenser sans doute d’accorder une solde à la garde nationale ; mais il ne faut pas se dissimuler que cette solde sera plus difficile à supprimer qu’elle ne l’a été à décréter. Et cependant, même en y ajoutant les 75 centimes de supplément accordés aux femmes, ne devient-elle pas chaque jour plus insuffisante ? Combien de familles du reste n’y participent point ! Combien de femmes seules, de vieillards infirmes, ne reçoivent aucune part de cette allocation ! Combien de femmes dont les maris sont enrôlés dans les bataillons mobilisés sont réduites à vivre, elles et leurs enfans, avec le supplément de 75 centimes ! Combien d’autres, dont l’union n’a point été régularisée à la mairie, n’ont pas même cette maigre ressource ! N’eût-il pas été préférable d’abaisser la solde en argent des membres de l’atelier national de défense en allégeant de ce côté les sacrifices du trésor, et d’organiser en temps utile les distributions en nature en les développant dans la mesure des besoins de la population ? La supériorité de ce système d’allocation est maintenant consacrée par l’expérience. Le gouvernement anglais l’a employé avec un succès décisif en 1847 pour combattre la famine d’Irlande. Pendant près d’une année, des millions d’Irlandais affamés ont été nourris aux frais du gouvernement sans imposer au trésor des dépenses excessives, et sans que la réduction graduelle des distributions « d’alimens préparés » ait causé le moindre désordre. « La ration consistait en une livre de biscuits ou de farine avec ou sans le son, ou en 2 pintes (1,14 litre) de soupe épaisse avec de la farine, plus un quart de ration de pain, de biscuit ou de farine. On reconnut par expérience que la meilleure forme sous laquelle les alimens pussent être donnés était un mélange de farine de maïs et de riz cuits à la vapeur. Cette expérience des « alimens préparés » eut une efficacité toute particulière pour couper court à tous les abus. La farine non cuite pouvait être convertie en argent par ceux qui n’en avaient pas besoin pour se nourrir ; il n’y avait pas jusqu’aux plus indigens qui ne l’échangeassent pour du thé, du tabac ou des liqueurs ; mais le mélange distribué, qui aigrissait si on le gardait, n’avait aucune valeur marchande ; aussi n’était-il demandé que par ceux qui en avaient réellement besoin pour apaiser leur faim… La multitude des participans aux rations fut graduellement et paisiblement ramenée à subsister de ses propres ressources au temps de la récolte, époque à laquelle des approvisionnemens nouveaux et abondans furent à la disposition de tous.