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peut-elle être considérée comme un mal dans une ville assujettie à un blocus hermétique ? Le but que les assiégés doivent incessamment avoir en vue, n’est-ce pas de prolonger au maximum la durée de la résistance ? Ce but, on ne peut l’atteindre qu’à deux conditions : en premier lieu de conserver avec le moindre déchet les munitions de bouche existantes, en second lieu d’en ménager autant que possible la consommation. Or l’expérience n’enseigne-t-elle pas que les particuliers et les marchands sont plus aptes que le gouvernement à veiller à la bonne conservation des subsistances, et d’une autre part que le renchérissement a pour effet inévitable de limiter la consommation ? Il fallait donc que le gouvernement évitât de se substituer aux particuliers et aux marchands, et qu’il s’abstînt de même, sauf pour les articles indispensables à la vie, d’empêcher un renchérissement, cruel à supporter sans doute, mais qui répondait à une impérieuse nécessité de la défense. Ce dur « rationnement par la cherté, » qui a soulevé de si vives clameurs, n’a-t-il pas contribué d’une manière efficace, en raison de sa dureté même, à la prolongation de la résistance ?


III.

Le gouvernement a eu certainement raison de ne pas abuser des réquisitions et de la réglementation pour satisfaire aux exigences d’une situation exceptionnelle et sans précédens ; mais il est bien permis de regretter que sa prévoyance n’ait pas toujours égalé sa modération. S’il pouvait abandonner à elles-mêmes les classes riches ou aisées à des degrés divers qui forment un élément considérable, sinon la majorité de la population parisienne, en revanche il avait l’obligation d’assister les autres. La guerre si imprudemment commencée au mois de juillet et plus tard l’investissement de Paris ont privé de travail la plus grande partie de la population et ruiné un grand nombre de petits industriels en chambre et de commerçans, sans parler des propriétaires qui ne touchent plus leurs loyers. En outre, la population de la banlieue est venue se réfugier dans l’enceinte de Paris, abandonnant avec ses demeures, maintenant dévastées, les branches de travail qui lui fournissaient des moyens d’existence. Il fallait de deux choses l’une, ou donner à ces différentes catégories de victimes de la guerre et du siège les moyens de se procurer les choses nécessaires à la vie, ou se charger de nourrir les uns, d’assister les autres. On sait de quelle façon imparfaite ce problème, d’ailleurs singulièrement compliqué, a été résolu. Le gouvernement alloua une solde de 1 franc 50 centimes par jour aux gardes nationaux qui n’ont pas d’autres moyens d’existence, et plus tard un supplément de 75 centimes aux femmes des gardes