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mation était ainsi artificiellement encouragée au moment même où il eût été urgent de la restreindre. On a essayé à la vérité de remédier à cet inconvénient en rationnant la clientèle des bouchers. Malheureusement cette mesure, d’une opportunité qu’on ne pouvait contester, car il est essentiel dans une ville assiégée de ménager les provisions de viande fraîche, on l’a complètement gâtée par les maladresses de l’exécution. Il était facile au ministre de l’agriculture et du commerce de s’entendre directement et à l’amiable avec les bouchers, dont il était désormais le seul pourvoyeur, pour opérer le rationnement à la satisfaction de tout le monde. Il lui suffisait de les engager à conserver leurs étaux ouverts, comme ils y étaient au surplus intéressés, et à ne vendre de viande qu’à leur clientèle, en rationnant chaque acheteur en proportion du rationnement qui leur était imposé à eux-mêmes. Au besoin, on pouvait donner à cette clientèle méfiante la garantie bien suffisante de l’inscrire sur un registre en portant régulièrement à sa connaissance les quantités fournies au boucher ; mais c’eût été trop simple. L’administration commença par fixer le prix de la viande sur pied de manière à imposer aux bouchers une perte d’un cinquième environ ; le plus grand nombre d’entre eux fermèrent leurs étaux plutôt que de vendre à perte. La clientèle des boucheries fermées reflua naturellement vers les boucheries ouvertes, et l’on vit se former ces interminables queues qui ont fait le désespoir des ménagères. Après de longues et infructueuses méditations, les organisateurs du rationnement ont fini par s’apercevoir que la longueur des queues était en raison inverse du nombre des boucheries, et ils se sont appliqués à faire rouvrir successivement celles dont ils avaient provoqué la fermeture. On a attaché un certain nombre de consommateurs à chaque boucherie ; autrement dit, on a refait aux boucheries ; devenues « municipales » des clientèles artificielles, après avoir défait leurs clientèles naturelles, et la situation est devenue à peu près tolérable. Dans l’intervalle, il avait fallu abaisser successivement la ration quotidienne de 200 grammes à 50 grammes, et remplacer la viande de bœuf par la viande de cheval. Dans les derniers temps même, la nécessité de ménager le living stock a déterminé le ministre de l’agriculture et du commerce à mettre à la disposition des consommateurs une partie de ses provisions de riz, de morue, de poissons salés et de conserves. Ces différens articles ont été divisés en portions formant à peu-près l’équivalent de la ration de viande, et vendus au-dessous du cours du commerce dans les boucheries municipales.

Ces distributions, fort maigres, car on donnait 250 grammes de riz pour trois jours, à raison de 60 centimes le kilogramme, n’ont apporté aux consommateurs qu’un bien faible secours ;