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rait bien compenser jusqu’à un certain point les maux du siège et les désastres de l’invasion. Nous ne voudrions pas troubler leur joie ; mais il est clair que l’expérience ne sera décisive qu’après le retour du bœuf et du mouton. En attendant, l’hippophagie a mis à la disposition de la population parisienne une mine presque inépuisable de viande, sur laquelle on n’avait point compté, et qui est actuellement eu pleine exploitation. Nous ne parlerons que pour mémoire du chien, du chat et même du rat, qui contribuent aussi à fournir leur contingent à nos ressources alimentaires. C’est le « gibier du siège. »

Les blés, les farines, le bétail, et en dernier lieu les chevaux ont été réquisitionnés. Dans une ville assiégée, le droit de réquisition ne saurait être contesté, et l’on doit approuver le gouvernement d’en avoir fait usage pour empêcher le pain et la viande de monter à des prix que la concurrence avait cessé de limiter. Peut-être n’a-t-il pas payé les blés et les farines à un taux assez équitable, peut-être aussi, en se hâtant trop de « requérir » les chevaux de sang, dont la provende était assurée, a-t-il cédé à la tentation de faire de la popularité ; mais en réservant les détails de l’application il faut bien reconnaître que ces mesures étaient commandées par les circonstances. Le gouvernement est devenu ainsi le seul propriétaire et le seul marchand des deux grands articles de première nécessité, le blé et la viande de boucherie. Comment a-t-il usé de ce double monopole ? Il a maintenu le prix du pain à 45 centimes le kilogramme ; c’était le prix moyen auquel le pain se payait avant le siège, et il était « expédient » de ne rien changer sous ce rapport aux habitudes de la population. On doit approuver aussi le gouvernement d’avoir reculé devant les difficultés et les dangers du rationnement du pain dans une ville de 2 millions d’âmes ; il eût été impossible en effet d’opérer ce rationnement avec l’exactitude nécessaire en donnant à chacun son dû, et toute erreur, tout faux calcul portant sur une matière première de la vie, aurait eu des conséquences désastreuses. Au surplus, les maladresses commises dans le rationnement de la viande de boucherie devaient l’engager à se montrer prudent.

Devenu propriétaire unique du bétail, le gouvernement a laissé le prix de la viande de boucherie, comme celui du pain, au taux où l’avait fixé la concurrence avant le siège, soit à 2 fr. 10 cent. pour la première catégorie de viande de bœuf, et à 1 fr. 70 cent. pour la seconde ; c’était peut-être, l’expérience l’a prouvé, un peu trop bas, car, les prix des légumes et des autres articles d’alimentation s’élevant successivement à mesure que le siège se prolongeait, la proportion ordinaire entre ces prix et ceux de la viande de boucherie se trouvait rompue à l’avantage de la viande, dont la consom-