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l’étude et l’art qui fécondent la nature ; mais ce qui est certain, c’est que jamais les circonstances n’auront été plus favorables. Ce sont les dispositions, c’est le cœur de l’auditoire qui font la moitié du talent et de l’inspiration de l’orateur.

N’y a-t-il point quelque intérêt à étudier dès aujourd’hui l’histoire et les exemples d’une cité qui a fait à la parole, dans le gouvernement de ses affaires, une bien plus large place qu’aucun autre peuple ancien ou moderne, et surtout que cette Rome dont l’imitation, nous a coûté si cher ? N’y aura-t-il point profit à montrer par quels degrés et par quelles voies les Athéniens sont parvenus à cette souveraine éloquence qui se résume aujourd’hui pour nous dans le nom de Démosthène ? Les chefs de l’opposition, dans ces dernières années, parlaient à des sourds ou tout au moins à des gens d’oreille dure, ils étaient forcés par là de grossir la voix et d’enfler un peu le ton ; mais quand la France entière sera suspendue aux lèvres de ses orateurs, peut-être l’étude et les exemples des Attiques donneront-ils aux maîtres de l’éloquence française cette qualité, la plus rare de toutes, que Cicéron lui-même n’a possédée que par instans, la simplicité.


I

Aussi loin que l’on puisse remonter, grâce aux épopées homériques, dans l’histoire de la race grecque, on reconnaît chez elle, comme un des traits qui la caractérisent, un goût très vif pour la parole. Nous n’insisterons pas sur les détails, sur ce passage de l’Iliade, objet de plus d’un commentaire, où il est question de quelque chose comme des concours d’éloquence déjà établis dans les villes. Sans trop s’arrêter sur ce vers qui nous montre Phénix placé par Pélée à côté d’Achille pour lui enseigner « à être diseur de paroles et faiseur d’actions, » sans en conclure, comme aimaient à le faire les anciens rhéteurs, que Phénix était le professeur de rhétorique d’Achille, il faut bien reconnaître que déjà, dans la société que nous peint Homère, ce n’est point assez, pour faire un héros complet, d’être brave et fort, il faut encore être éloquent. Il suffit au vieux Nestor, pour commander le respect, d’avoir ce don de la persuasion, cette parole abondante et douce que n’accompagne plus la vigueur du bras ; quand on possède, comme Ulysse, à la fois l’éloquence insinuante qui gouverne les esprits des hommes et la valeur hardie qui accomplît sur le champ de bataille ce qui a été résolu dans le conseil, on est envié et admiré de tous, on devient l’homme indispensable, celui vers lequel se tournent tous les yeux dans les momens critiques. Ulysse est aussi nécessaire à l’armée, plus nécessaire peut-être qu’Achille lui-même. De là vient qu’après