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lieux d’asile sans maudire la guerre, cause de tant d’horreurs, sans honorer la France, mère de tant de vertus.

Tous ces détails, matériaux incomplets qui serviront plus tard à composer l’une des pages touchantes de l’histoire du siège de Paris, nous ont en apparence éloigné du récit des origines, de la condition actuelle et des vœux du corps de santé des armées françaises. En réalité, ce corps est l’auteur et il reste le centre de ce vaste mouvement d’humanité. La convention de Genève n’est que la traduction en langage légal des usages pratiqués dans les camps par les continuateurs d’Ambroise Paré et l’expression solennelle du respect qu’ils ont su inspirer. Les sociétés de secours ne sont que la réponse à leurs cris de détresse depuis le jour où, témoins impuissans de maux épouvantables, ils ont pris le parti de ne plus s’adresser au pouvoir et de parler à l’opinion. Au commencement de la guerre qui désole la France, le personnel des officiers de santé militaires et de leurs assistans se composait à peine de 1,500 personnes, et ils figuraient au budget de la guerre pour moins de 2 millions. Il est arrivé à leurs chers malades et blessés un budget volontaire de 8 ou 10 millions et une armée de secours de plusieurs milliers d’hommes et de femmes dévoués. Ainsi escortés, ils feront d’abord beaucoup plus de bien, et c’est l’essentiel. Obtiendront-ils ensuite plus de justice pour eux-mêmes ? Je le crois. Après nos malheurs, les mots de centralisation, unité, règlement, tutelle administrative, auront perdu tout prestige. L’exemple de la Prusse et des autres pays militaires nous trouvera plus humbles et plus attentifs. La réorganisation de l’armée sur des bases nouvelles sera devenue une nécessité. Enfin la question du service de santé des blessés et des malades militaires sera sortie du cercle des académies et des discussions techniques, où elle est jusqu’ici restée trop enfermée, car nous aurons tous été soldats, nos maisons auront été des hôpitaux, les bienfaiteurs de l’armée auront été nos bienfaiteurs, et ils se verront appuyés par l’opinion universelle.

Sans doute il serait plus court d’en finir avec les chirurgiens-majors, les intendans, la convention de Genève et les sociétés de secours aux blessés en supprimant la guerre. Nos petits-enfans travailleront à réaliser ce rêve, quand ils apprendront dans notre histoire que le XIXe siècle, si fier de ses progrès, a sacrifié à l’idole monstrueuse de la guerre 4 ou 5 millions de jeunes gens. Pour les Français de notre génération, ce n’est pas fini. Résolus à ne pas rendre Paris et à délivrer la Lorraine, et l’Alsace, nous avons devant nous de longs combats. Tâchons donc d’adoucir la guerre que nous ne pouvons pas éviter.


AUGUSTIN COCHIN.