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prospérité et insulter dans le malheur. Tout en prêtant main-forte à ses œuvres quand nous les croirons bonnes, nous nous abstiendrons envers elle de trop justes récriminations, et nous nous donnerons la jouissance de la vaincre dans son orgueil en nous montrant plus généreux, plus nobles, plus vraiment fiers qu’elle-même.

Mais, bon Dieu ! où me laissé-je aller ! En sommes-nous donc là ? Au lieu de penser à l’Europe qui nous oublie si volontiers, au lieu de chercher au loin, qui nous pourrons aider, qui nous peut secourir, songeons à nous aider nous-mêmes. Rentrons dans nos remparts, assez de soins nous y attendent : d’abord les soins de la défense, et puis aussi, marchant de pair, les soins de la charité, ou mieux encore, changeons le mot, c’est fraternité qu’il faut dire. Sainte parole si froide à lice sur les murailles, mais quand elle est écrite au cœur si féconde et si chaude, entre assiégés surtout comme on la comprend bien ! Les liens de La parenté commune se resserrent si vite dès qu’on souffre en commun ! Assistons-nous les uns les autres des deux manières, par la parole et par le pain. Que les plus forts communiquent aux autres le superflu de leur espoir. Donnons enfin chez nous à ce mot république, sa signification chrétienne et patriote, et si, nous voulons porter nos regards au dehors, si nous voulons franchir l’espace, que ce soit pour étudier de près, je le demande encore, pour nous approprier l’exemple de ces républicains du nord, plus malheureux que nous, puisque c’était contre leurs frères qu’ils livraient ces prodigieux, combats. Apprenons d’eux à nous tenir en garde contre nos deux fléaux, l’abattement et l’excès d’espoir, l’illusion et la panique. Sachons, comme eux, quoi qu’il arrive, nous armer de constance, et ne trouver dans les mécomptes qui certainement nous attendent encore qu’un motif de plus de tenter davantage et de toujours persévérer. Qu’on ne me dise pas cette banale excuse : ils sont d’une autre race, ils sont Anglo-Saxons. Pour être Anglo-Saxon, il ne faut que vouloir.

Cependant le temps marche, l’heure devient solennelle, c’est le moment de ne pas faiblir. Que Paris tienne bon, qu’il n’oublie pas ce que depuis septembre, depuis trois mois de séquestration, il a déjà conquis d’honneur et pour lui-même et pour la France. Qu’il n’aille pas en un jour, au contagieux exemple de quelques défaillances, perdre une gloire qui déjà nous console, un poste qui peut nous sauver. Dût-il n’être pas secouru et forcément succomber à la peine, que ce soit aussi tard que possible, même au prix de sérieuses souffrances, celles de l’ennemi l’en paieront largement ; qu’il garde jusqu’au bout cette calme attitude, cette fierté sans jactance, que tant de gens n’attendaient pas de lui et dont il donne chaque jour, de plus étonnantes preuves ; puis enfin, si tout lui fait défaut, au lieu d’entraîner dans sa chute le pays tout entier, au lieu de lier la France à sa disgrâce, qu’il s’en détache et s’en isole en loi laissant le soin de le venger.