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mauvais que nous ayons lu le Times du 10 novembre, et qu’il a pris ses précautions pour qu’à l’avenir ce faux frère ne pénétrât plus chez nous. C’est depuis ce temps en effet qu’absolument sevrés de nouvelles étrangères nous ne jugeons plus qu’à tâtons, aussi bien des mouvemens de la diplomatie européenne que de la marche de nos propres armées.

Cette clôture hermétique, ce surcroît de silence, ne signifient-ils pas qu’on a des choses à nous cacher, des choses que nous pourrions, selon toute apparence, apprendre avec plaisir ? J’aime à le supposer, bien qu’à vrai dire, à l’heure où nous voici, après bientôt six mois d’expérience, tout ce qui peut nous venir de l’Europe ne nous doive inspirer qu’un médiocre intérêt. Supposons-même que pendant qu’on se cache si soigneusement de nous, il s’y passât des choses d’une vraie gravité, que la nécessité d’un congrès, par exemple, ne fût pas tout à fait chimérique, que les signataires du traité de 1856 nous demandassent de prendre part aux délibérations, et que l’Angleterre surtout y eût sérieusement besoin de nous ; n’aurions-nous pas la tentation de lui fausser compagnie, non sans sourire, et lui conseiller de s’en tirer à son tour sans nous, comme elle pourrait ? Ou je me trompe fort, où ce serait là le premier mouvement de la France entière, ni plus ni moins, des sages comme des fous. Eh bien ! prenons-y garde, le premier mouvement, quoi qu’on dise, n’est pas toujours le bon. Autant je voudrais garder envers notre partenaire de Crimée une digne et froide attitude, autant je m’abstiendrais, de déserter par puérile rancune, par vain plaisir de représailles, les sérieux intérêts et la vraie politique de la France, si, comme il est probable, ces intérêts et cette politique nous commandaient d’appuyer l’Angleterre. A quoi bon jouer, au fin ? Pourquoi prendrions-nous ces allures ambiguës qui conviennent aux aventuriers quêtant un profit illicite, une alliance de contrebande ? Pourquoi ne pas planter franchement notre drapeau ? Rien de commun jamais, quelle que soit leur puissance, avec ces contempteurs du droit, ces propagateurs de la force qui traitreusement complotent de jeter sur l’Europe entière leur lourd et stupide filet. Que vous offriraient-ils pour vous faire leurs complices ? Quelques promesses de gain matériel, quelque honteux partage. Mieux vaut de plus nobles profits, ceux qu’on ne trouve qu’en compagnie de la droiture, même égoïste et sans attrait. Cette Grande-Bretagne veut-elle pour conjurer les ambitieux ligués qui se démasquent et cet envahissement qu’elle redoute à bon droit, veut-elle jouer son ancien grand jeu, sortir de son étroite et mercantile ornière, prendre en main la cause des faibles, des opprimés, du droit contre la force, sauver la civilisation, et par là même changer les destinés de ses industrieux habitans, leur assurer de futurs bénéfices vraiment solides et durables, fondés sur la vraie paix, l’avenir libéral du monde ? Alors nous lui montrerons ce que vaut cette France qu’elle n’a sa qu’envier dans la