Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/747

Cette page a été validée par deux contributeurs.
741
LA RÉUNION DE L’ALSACE.

ans. Vous rêvez la reconstruction de l’empire de Charlemagne ; c’est là le progrès qu’au XIXe siècle vous offrez à la civilisation européenne ! Un autre génie que le vôtre a succombé à cette tâche au commencement de ce siècle, et ce n’est point en ressuscitant les haines détestables de peuple à peuple que vous accomplirez ce dessein insensé. Vous n’êtes pas, quoi que vous disiez, les successeurs de cette bonne et sage Allemagne qui fut rétablie en sa liberté par le traité de Westphalie ; vous êtes les continuateurs des grandes invasions du Ve siècle ; vous nous revenez plus polis, mais avec les mêmes instincts de haine et de destruction que vos aïeux envers les races de l’Occident.

L’Allemagne qui se révèle à nous n’est plus l’Allemagne que nous avons connue et aimée. Un de vos principaux chefs prend dans les actes publics la qualité de prince des Vandales, qui figure parmi ses titres héraldiques[1]. Je lis dans un almanach de la noblesse allemande que M. de Bismarck descend d’un ancien chef des tribus slaves qui ont peuplé son pays natal. En 1862, après quelques mois seulement de légation prussienne à Paris, il a reçu la grand’croix de la légion d’honneur. On sait les bons conseils d’invasion qu’il nous donnait alors, et les promesses dont il flattait un gouvernement trop crédule !… Votre grand chef de guerre, M. de Moltke, est aussi d’origine wende. Quant aux Prussiens de race, ils n’étaient pas encore civilisés au XIIIe siècle ; c’est le célèbre grand-maître Hermann de Salza qui les a soumis de force à la loi chrétienne[2]. Or les peuples tiennent toujours de leur origine et des maîtres qui les ont gouvernés. Nous avons gardé quelque chose de la mobilité celtique malgré notre croisement avec tant de races diverses ; nous avons gardé du Philippe-Auguste, du Philippe le Bel, du François Ier et du Louis XIV. Vous avez gardé à travers votre discipline un fonds de barbarie, récente encore dans votre histoire, un fonds de Genseric, d’Odoacre, d’Albert de Brandebourg et de Frédéric II ; mais vainement vous vous êtes étudiés avec une sombre application au perfectionnement des moyens destructeurs de la guerre. Votre perfide habileté échouera contre notre patriotisme ; la France a eu raison de toutes les invasions. Dieu aidant, elle aura raison de la vôtre.

Ch. Giraud, de l’Institut.
  1. Voyez l’Art de vérifier les dates, t. III, p. 485, et l’Atlas généalog. de Hopf.
  2. Ibid., t. III, p. 538.