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tour à tour vaincus et victorieux. Toutes les horreurs de la guerre civile et de la guerre étrangère, elle les supportait sans entrevoir de terme à ses malheurs, parce qu’à l’animation de la lutte se joignait l’obstination en apparence invincible des parties engagées. Ce n’était plus seulement la liberté religieuse et la constitution politique de l’Allemagne qui étaient en jeu ; les intérêts divers des états européens, leurs ambitions, leurs désirs, leurs passions, compliquaient la question germanique elle-même. L’Angleterre seule, trop occupée alors de ses agitations intérieures pour se mêler de celles de l’Europe, semblait spectatrice désintéressée de la lutte continentale ; mais tout le reste de l’Europe était en feu. Plusieurs groupes d’intérêts bien marqués se dégageaient pourtant du milieu de ces désastres. C’étaient d’abord ceux des états allemands réformés, alliés de la France, des Provinces-Unies et de la Suède, ceux de la maison d’Autriche allemande, étroitement unis à ceux de la maison d’Autriche espagnole, mais susceptibles d’être séparés dans l’application, et entraînant avec eux quelques états catholiques d’Allemagne ; enfin ceux des alliés de l’Allemagne, de la France, de la Suède et des Provinces-Unies, ayant des points communs et des points distincts. Le cri public de l’Europe avait imposé aux états belligérans une manifestation pacifique ; ils se soumirent à cette loi de l’opinion, et acceptèrent un rendez-vous général dans un congrès siégeant en Westphalie, mais en deux corps, l’un convoqué à Osnabrück, où devaient se régler les intérêts purement germaniques, l’autre convoqué à Munster, où devaient se régler les intérêts des couronnes. Le pape et la république de Venise étaient admis comme médiateurs. Les hostilités devaient continuer pendant qu’on négociait.

Quoique la nécessité de la paix fût dans tous les esprits, nul ne semblait pressé de la conclure, nul ne voulait surtout montrer de l’empressement à la chercher, parce que chacun craignait de montrer de l’épuisement ou de la faiblesse. D’ailleurs les difficultés de la paix paraissaient aussi grandes que les difficultés de la guerre. La guerre de trente ans avait provoqué l’application d’un nouveau système politique pour l’Europe, la politique des affaires substituée à la politique de la passion. La visée générale de la paix était un équilibre des puissances. L’Allemagne en devait être le centre, sans être à craindre pour personne, et l’introduction des états du nord, manifestée par l’intervention de la Suède, augmentait les difficultés de l’équilibre à établir. Le congrès de Westphalie s’annonçait donc comme l’assemblée régulatrice d’une Europe nouvelle. Indiqué pour 1643, l’année 1644 était près de finir sans qu’aucune question sérieuse eût encore été abordée. Ce fut pendant ces premiers temps qu’eut lieu une scène qui peint bien les mœurs de l’époque et la