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LA RÉUNION DE L’ALSACE.

tissement suffisant ; mais Louis XIII, conseillé par Richelieu, s’est montré supérieur à ses devanciers, François Ier et Henri II. Richelieu a tout prévu et n’a jamais rien compromis ; il a poursuivi le but avec une persistance et une mesure admirables, surtout si l’on songe à tous les obstacles qu’il eut à vaincre. Un de ses contemporains, homme instruit et de beaucoup d’esprit, Français de langage, mais, en sa qualité de jésuite, ayant un secret penchant pour l’Espagne, le père Bougeant, définit ainsi la position : « le cardinal de Richelieu, moins délicat que ses prédécesseurs sur les intérêts de la religion, ou plus éclairé sur ceux de l’état, ne fit envisager au roi cette guerre que comme une guerre politique, telle qu’elle était en effet, et à laquelle par conséquent il pouvait contribuer pour maintenir la liberté germanique et affaiblir la trop grande puissance de la maison d’Autriche. » Ajoutons l’objectif secret de Richelieu, un objectif territorial, sur lequel il avait la sagesse de se taire, et dont il attendait du temps tout seul la manifestation opportune. Aussi le sentiment national a-t-il soutenu Richelieu dans cette conjoncture. Vainement l’Espagne chercha-t-elle à l’entraver par de déplorables conspirations autour du trône même, le cardinal marcha droit au but pendant quinze ans, et le public des politiques dont il était compris ne s’arrêta point à la singularité du spectacle qu’offrirent dans la suite de cette guerre un prélat catholique soutenant les protestans d’Allemagne, un autre prélat, le cardinal de la Valette, combattant à côté de Weimar, et un archevêque de Bordeaux commandant une flotte française contre la maison d’Autriche. Quoique la France ne dût pas fournir de contingent à Gustave-Adolphe, un fort parti de noblesse française vint s’enrôler sous ses drapeaux ; il a formé l’école brillante de nos capitaines du XVIIe siècle, et il a été l’un des maîtres de l’époque dans cette guerre méthodique, vraiment digne d’une nation civilisée, où la science et l’art, conciliés avec les intérêts de l’humanité, obtiennent de grands résultats avec peu de moyens destructeurs.

Les succès de Gustave-Adolphe en Allemagne furent rapides comme la foudre. En quelques semaines, le Brandebourg, le Mecklembourg, furent nettoyés d’impériaux, et leurs princes rétablis dans leurs états. Ferdinand II n’avait plus Wallenstein à ses ordres ; mais il lui restait Tilly, agent habile de sa politique. Il voulut essayer encore de la terreur, et frapper un grand coup. Magdebourg, emporté d’assaut, fut livré au feu et au pillage ; mais la passion se trompe souvent dans ses calculs. À la stupeur et à l’effroi succéda l’indignation. Le désespoir doubla les forces des opprimés, et la liberté de l’Allemagne sortit de l’exécution militaire de Magdebourg. Pourquoi ne dirais-je pas que les contemporains imputèrent à l’électeur de Brandebourg le désastre de la noble cité de l’Elbe ?