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LA RÉUNION DE L’ALSACE.

s’adressèrent de préférence à Claude de Guise, prince français qui, assisté de son frère Antoine de Lorraine, purgea les Vosges de ce fléau. Ne soyons donc pas étonnés de trouver dans les Mémoires de Vieilleville le témoignage de l’enthousiasme qu’excita l’annonce, faite après le traité de 1551, conclu avec les princes allemands[1], qu’avant d’aller prendre possession de Metz, le roi Henri II irait s’assurer du Rhin alsatique, ancienne limite de la Gaule et du royaume d’Austrasie. « Toute la jeunesse des villes se dérobait de père et mère pour se faire enrôler ; les boutiques demeuraient vides d’artisans, tant était grande l’ardeur, en toutes qualités de gens, de faire ce voyage et de voir la rivière du Rhin. » Faut-il être surpris que dans cette guerre néfaste de trente ans, provoquée par la passion aveugle d’une puissance allemande, la France, gouvernée par les plus profonds et les plus prévoyans politiques qui jamais aient conduit ses affaires, invitée, sollicitée par l’Allemagne à venir à son aide, comme elle l’avait fait en 1551, et au prix de compensations également avantageuses pour les deux parties, se soit appliquée, avec une longue et inébranlable persévérance, par des sacrifices de tout genre aussi coûteux que bien employés, au recouvrement définitif de cette portion si précieuse de son ancien territoire, dont elle n’avait jamais détourné les regards, quoiqu’elle en eût été séparée pendant plusieurs siècles ?

La guerre de trente ans est l’un des plus grands drames dont l’Europe ait été le théâtre avant les guerres de la révolution française. Elle a eu pour historien, je dirai mieux, pour chantre, l’un des plus grands génies dont s’honore la littérature allemande. Schiller a écrit ce poème avec la flamme du patriotisme et le style de l’épopée, soutenu par une science en général exacte et le désir constant d’être vrai, mais séduit, emporté trop souvent par l’imagination qui l’agite, trop passionné poète pour demeurer historien juste, surtout envers la France, dont il reconnaît et proclame d’ailleurs les immenses services avec une sincère inconséquence. Goethe, s’il avait pu se plier au récit de la guerre de trente ans, l’eût écrite dans un autre esprit à l’égard de la France, et cependant je me prévaudrai souvent de l’autorité de Schiller, parce que c’est le plus irrécusable témoin que l’on puisse invoquer pour certains faits. Il ne s’agit point de rechercher ni de raconter les causes de la guerre de trente ans ; c’est un grand procès que l’histoire est chargée d’instruire et de juger entre l’Allemagne protestante et la maison d’Autriche. Qu’il nous suffise de dire que ces causes se rattachent aux dissentimens religieux et politiques qui avaient éclaté sous Charles-

  1. Voyez la Revue du 15 novembre.