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LA RÉUNION DE L’ALSACE.

française. Toute l’antiquité avait reconnu le Rhin comme la limite de deux grandes races établies dans le centre et dans l’occident de l’Europe. César, Strabon, Tacite, avaient été unanimes dans cette observation. La race gauloise et la race germanique avaient trouvé là leur barrière, qui fut aussi la barrière orientale de l’empire romain. Peu de pays ont offert autant que l’Alsace de monumens gaulois à la curiosité des archéologues. La première couche de population germanique introduite en Alsace ne remonte pas plus haut que la fin du IIIe siècle. Salvien, au Ve siècle, appelle le Rhin le fleuve qui sépare deux mondes, celui de la civilisation et celui de la barbarie. Le nom de Strasbourg succédant à l’ancien nom gaulois d’Argentorat n’apparaît qu’au VIe siècle, et un Austrasien d’origine, Paulin d’Aquilée, disait encore, au VIIIe siècle : « On t’appelle Strasbourg dans la langue des barbares ; mais ce nom a pris la place d’un autre vieux nom illustré par les souvenirs. »

Après le démembrement de l’empire romain, ce fut dans l’orbite des états francs fondés sur la rive gauche du Rhin que l’Alsace fut comprise ; c’est au royaume de Clovis, au royaume d’Austrasie des Dagobert, que se rattache la puissante ville de Strasbourg. Aussi, lorsqu’au XIIIe siècle elle construisit sa glorieuse cathédrale, elle plaça les statues de Clovis et de Dagobert sur le front de son église, où les a retrouvées Louis XIV, et où l’on peut les voir encore, si les boulets prussiens ne les ont pas abattues. À l’époque de la dissolution du vaste empire carlovingien, qui s’étendait de l’Èbre jusqu’à l’Elbe, l’Alsace était la limite des reconstructions politiques sur fonds gaulois et des formations d’états purement germaniques, ainsi que le prouve le fameux serment de Charles le Chauve et de Louis le Germanique en 841. Le lieu de la scène était, comme on sait, la plaine de Strasbourg, et le serment en double dialecte, roman et teutonique, est le plus ancien monument écrit des deux langues ; mais l’Alsace, ayant passé plus tard du royaume de Lothaire dans celui de Louis de Germanie, fut entraînée dans la sphère politique de l’Allemagne. La période germanique de l’histoire d’Alsace ne commence donc qu’au IXe siècle, sans que jamais cependant cette province ait perdu le souvenir de son passé, ni le désir de retourner à son giron. Toutes les anciennes familles féodales qui ont possédé le sol alsacien étaient d’origine indigène ou austrasienne. Je ne citerai que les fameux comtes de Ferrete. Les plus intimes relations de l’Alsace, sous les Ottons et les Franconiens, étaient avec les rois et comtes de la Bourgogne jurane, les ducs français de Lorraine et ceux du pays qu’on nommait alors la France rhénane ; les monumens romains de son ancienne attache à la Gaule étaient encore debout.

De son côté, la France capétienne, à laquelle était échu le des-