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que quelques rêveurs avaient sans cesse poursuivies ; nous voulons parler des moyens de s’élever dans l’air, de voler comme les oiseaux. Non content de vouloir voler, on s’ingénia dès lors pour trouver les moyens de naviguer dans l’air, pour employer l’aérostat à la façon d’un véritable navire. Dès le premier jour, les projets imaginés apparurent par centaines : chacun crut avoir découvert la direction des ballons. Un des savans de ce temps, Meusnier, officier du génie, donna même le dessin d’un appareil dirigeable, qui depuis a inspiré la plupart des chercheurs. L’effervescence fut telle, dura si longtemps, et le complet oubli des conditions mathématiques du problème fut poussé si loin, que l’Académie des Sciences de Paris, à laquelle les inventeurs s’empressaient de soumettre leurs plans, lasse d’être consultée sur des chimères, déclara qu’à l’avenir elle ne s’occuperait plus de ce genre de communications. Selon l’Académie, la direction des aérostats était chose impossible, et il fallait ranger ceux qui poursuivaient la solution de cet insoluble problème au nombre des fous qui prétendaient avoir découvert le mouvement perpétuel ou la quadrature du cercle. En effet, dans les conditions où se présentait la recherche de la direction des aérostats, le problème était absolument insoluble. Un ballon lancé dans l’air est, avons-nous dit, comme une véritable bouée, comme un bouchon de liège abandonné au courant de l’eau, et il participe si bien à tous les mouvemens, à toutes les sinuosités du fleuve aérien, que l’aéronaute n’a pas conscience du mouvement souvent très rapide qui l’emporte. Il n’est pas rare que la vitesse de l’air dépasse celle d’une locomotive lancée à toute vapeur, 80 kilomètres à l’heure par exemple, et plus d’un ballon a marché avec cette vitesse[1], tout en paraissant immobile aux expérimentateurs qui le montaient ; En 1867, nous avons mis moins de deux heures et demie pour nous rendre en ballon de Paris au-delà de Provins, sur une distance en ligne droite de 125 kilomètres. Comment lutter contre de telles vitesses du vent, si l’on rêve la direction absolue des ballons, et si l’on veut aller vent debout ? Chacun connaît la force de translation des ouragans, qui, à terre, renversent les édifices, déracinent les arbres, et sur mer engloutissent les navires après les avoir brisés et démâtés. Qui ne sait encore que dans le midi le célèbre mistral ou

  1. Le trajet le plus rapide, sinon le plus long qu’on connaisse, puisqu’un de nos derniers aérostats vient d’aller de Paris à Christiania, est celui du ballon libre qui fut lancé de Paris le jour du couronnement de l’empereur Napoléon en 1804. Le ballon accrocha le lendemain matin au tombeau de Néron à Rome la couronne impériale qu’il portait, et alla s’échouer dans le lac Bracciano. Le trajet avait duré vingt heures. La plus courte distance de Rome à Paris étant d’environ 1,200 kilomètres, cela indique une vitesse moyenne de 60 kilomètres à l’heure !