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pour ainsi dire nulles. En outre vous êtes dès lors soumis à toutes ses attaques, presque à sa merci, si vous êtes à une assez grande proximité. Or les observations ne peuvent être bonnes que dans cette dernière condition, et l’on sait à quelle énorme distance et avec quelle précision portent aujourd’hui les armes à feu.

Une reconnaissance militaire faite en ballon captif doit donc être en quelque sorte instantanée. Cela est si vrai que pour peu que l’air soit agité le ballon tourne sur lui-même, et que l’emploi de toute jumelle, encore plus celui d’une simple lunette, devient presque impossible dans cet observatoire si mobile. Dès lors l’aérostat n’est plus en mesure de lutter avec un sémaphore, un observatoire fixe installé sur un édifice élevé, surtout si l’on emploie une lunette astronomique qui rapproche si étonnamment les distances et grossit si fortement les objets. Toutes ces raisons ont rendu jusqu’ici assez problématiques les services que les ballons captifs ont fournis depuis le commencement du siège de Paris. Ni à la place Saint-Pierre à Montmartre, ni au fort de Vanves, ni à la place du marché d’Auteuil, où des ballons captifs ont été successivement installés, on n’a encore tiré un parti bien positif de ce moyen d’observation. A Auteuil même, où l’on se propose d’observer de la sorte les mouvemens des Prussiens dans les bois de Meudon, Sèvres et Saint-Cloud, le vent a été une fois si violent que l’aérostat a été déchiré. Est-ce à dire que le gouvernement de la défense aurait eu raison de se passer des ballons captifs et de ne pas encourager les personnes qui en préconisaient l’usage ? Telle n’est pas notre pensée : la France a là-dessus des précédens qui l’engagent, et les noms des Meusnier, des Coutelle, des Conté, ces glorieux aérostiers de la première république, les services qu’ils ont rendus en maintes circonstances, n’ont pas été oubliés de l’histoire. C’est surtout, répétons-le, en rase campagne, encore plus que dans une place assiégée, qu’un ballon captif peut rendre des services à la guerre. M. Eugène Godard prétend qu’avec son aérostat, pendant l’expédition d’Italie, il a pu non-seulement signaler le retour offensif de l’avant-garde autrichienne à Castiglione, la veille de la bataille de Solferino, mais encore lever le plan du fort n° 8 de Peschiera. De même, en Amérique, pendant la guerre de sécession en 1861, un aéronaute militaire fournit, par son ascension, des renseignemens très précieux au général Mac-Clellan. Le ballon, parti des bords du Potomac, où était alors campée l’armée fédérale, passa au-dessus de Washington. Arrivé à une certaine hauteur, l’aéronaute coupa la corde qui mettait son ballon en communication avec le sol, et fut porté directement au-dessus des lignes ennemies. Il put observer à son aise la position et les mouvemens de l’armée confédérée.