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à rendre grâce à Dieu pour les milliers de braves gens qu’il fait massacrer chaque jour, du reste, tout le monde le sait, tendre père, époux fidèle, que voulez-vous de plus ? Guillaume de Prusse est le modèle des rois. »

Certes je ne m’exagère pas les vertus de la France ; mais qu’on ne m’impose pas la tâche trop rude de reconnaître celles de la Prusse, d’admirer la magnanimité de son souverain et l’innocence de son premier ministre ! A propos de cette intolérable prétention de nos ennemis à se porter les justiciers de Dieu, on nous rappelle cette réponse de M. de Vendôme à qui l’on disait un jour qu’il était vaincu pour les péchés de la France et pour les siens : « Eh ! pardieu, vous me la baillez belle ! Est-ce que M. de Marlborough va à la messe ? »

Il connaissait bien cette race, ces souverains, ce peuple, le grand railleur et le grand poète de l’Allemagne moderne, Henri Heine. Avec quelle verve étincelante, avec quel fonds de raison, malgré la passion qui l’emporte, devenu l’hôte de la France, ce « Prussien libéré, » comme il s’appelait, démasque « ces soi-disant représentans de la grande idée allemande, ces faux patriotes dont l’amour pour la patrie ne consiste qu’en une aversion idiote contre l’étranger et les peuples voisins, et qui déversent chaque jour leur fiel surtout contre la France ! » Il ne cessait de nous avertir des progrès sourds et de l’explosion prochaine de la haine des teutomanes. « On ne vous aime pas en Allemagne, vous autres Français, ce qui est presque incompréhensible, car vous êtes pourtant bien aimables… Ce qu’on vous reproche au juste, je n’ai jamais pu le savoir. Un jour, à Gœttingue, dans un cabaret à bière, un jeune Vieille-Allemagne dit qu’il fallait venger dans le sang des Français le supplice de Konradin de Hohenstauffen que vous avez décapité à Naples. Vous avez certainement oublié cela depuis longtemps ; mais nous n’oublions rien, nous. Vous voyez bien que, lorsque l’envie vous prendra d’en découdre avec nous, nous ne manquerons pas de raisons d’Allemand. Ne riez pas de ces conseils, quoiqu’ils viennent d’un rêveur… Le tonnerre en Allemagne est bien à la vérité allemand aussi : il n’est pas très leste et il vient en roulant un peu lentement ; mais il viendra, et quand vous entendrez un craquement comme jamais craquement ne s’est fait encore entendre dans le monde, sachez que le tonnerre allemand aura enfin touché son but. » Il est venu, le tonnerre allemand ; il a frappé fort. C’est l’aigle prussien qui l’a apporté. Personne n’observait cet aigle d’un regard plus inquiet que notre poète, et « pendant que d’autres vantaient sa hardiesse à regarder le soleil, lui n’était que plus attentif à ses serres. » Les ambitions hypocrites et militaires de cette race et de