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donnait carrière ; mais à l’heure du péril, quand l’orage grondait, on pouvait se commettre à lui et monter dans sa barque : du premier coup, sans louvoyer, il vous mettait au droit chemin.

C’était bien là, depuis trois mois, le continuel exemple qu’il nous avait donné. Au milieu de ces alternatives de défaillance et de forfanterie où tant de gens tombaient autour de lui, pas un seul jour il n’avait vacillé. C’était plaisir de le trouver, aux heures les plus critiques, toujours ferme et toujours décidé, sans illusion aussi bien que sans crainte. Une seule fois peut-être il me parut perplexe, presque troublé, et c’était, ce me semble, la dernière que nous nous soyons vus : il ne savait comment accommoder ensemble deux choses qu’il avait à cœur presque au même degré, la convocation la plus prompte d’une assemblée nationale, la continuation la plus ferme de la résistance à l’ennemi.

C’est qu’en effet, mon cher monsieur, il y a là pour les vrais amis de notre malheureuse France le plus ardu problème qui se puisse imaginer. Depuis que dans ma dernière lettre je vous ai laissé voir de quel côté je penchais, croyez que je n’ai cessé de me mettre à l’épreuve, de m’interroger, de me sonder, de retourner en tout sens les termes de l’énigme. Il m’en coûtait de me sentir en désaccord avec tant d’hommes dont je prise si haut les lumières et les intentions. Assurément, ils ont raison, rien aujourd’hui ne serait d’un plus puissant secours qu’une assemblée munie de pouvoirs réguliers, représentant la France, délibérant en lieu sûr, n’importe dans quelle ville, pourvu que l’ennemi ne pût la menacer : avec cette assemblée, tout serait plus facile ; le présent semblerait moins lourd et l’avenir moins sombre ; elle resterait, quoi qu’il pût arriver, le centre d’action et l’âme de la France ; devant les élus du pays, les coteries rentreraient dans l’ombre ; les vraies capacités seraient mises en lumière, et la réalité du gouvernement républicain se produirait peut-être au lieu d’une apparence un peu trop nominale. Cette assemblée, qu’on nous la donne, la France en a besoin, elle y a droit ; mais par malheur ce n’est pas du ciel qu’elle tombera toute faite ! Il faut l’élire, l’élire sérieusement, non pas à la légère, au hasard, en brusquant le scrutin, déplorable origine qui infirmerait dès sa naissance ses actes et son autorité ; il faut qu’elle sorte, sinon de luttes véhémentes et prolongées, du moins d’un certain mouvement de vie électorale ; il faut qu’on se concerte, qu’on cherche des candidats, qu’on les entende et qu’on les interroge. Tout cela n’est pas l’affaire d’un jour : c’est l’entreprise la plus grave, la plus absorbante, et, je le dis à mon corps défendant, la moins conciliable avec le devoir urgent, impérieux, le plus sacré des devoirs civiques, la résistance à l’ennemi.

Sans armistice, il n’y faut pas songer, l’œuvre est impraticable : M. Jules Favre l’a démontré en termes péremptoires. Avec la poste aérienne pour seule communication entre elle et sa capitale et près du