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qu’il serait plus dangereux de les supprimer que de les laisser vivre. Toutes les agitations, toutes les fièvres auxquelles la population parisienne a été en proie depuis trois mois se sont manifestées avec une intensité particulière dans les clubs, et on y a vu succéder du jour au lendemain à l’abattement le plus extrême les espérances les plus exagérées. La démagogie y a établi ses assises, elle y a annoncé plus d’une fois naïvement son intention de jeter le gouvernement par les fenêtres ; elle y a dénoncé les accapareurs et les traîtres, elle les y a jugés et condamnés ; elle y a enfin détaillé tous les articles de son programme de « moyens révolutionnaires » à l’aide desquels, après avoir débloqué Paris, elle sauvera la France et même le monde. Sans doute ces dénonciations perfides, ces accusations furieuses, ces provocations criminelles à la guerre civile, ces insanités décorées du titre pompeux de moyens révolutionnaires qui n’ont pas sauvé la France en 1792 et qui achèveraient de la perdre en 1870, exercent sur les esprits peu cultivés ou sans culture aucune qui composent en majorité le public des clubs une action délétère ; mais suffirait-il de fermer les clubs pour empêcher cette malaria de se répandre et d’acquérir, sous l’influence des circonstances, un caractère particulier de malignité ? Si les clubs n’existaient point, la démagogie et le socialisme cesseraient-ils de propager leurs poisons ? Leur propagande serait moins visible, leurs conspirations seraient latentes, ils prépareraient leurs « journées » dans des conciliabules secrets au lieu d’en afficher le programme dans des clubs publics ; mais le danger serait-il moindre ? Cette réaction de la modération et du bon sens qui a empêché le gouvernement provisoire de glisser sur la pente de la révolution, et qui l’a sauvé finalement du coup de main du 31 octobre, se serait-elle produite avec la même intensité et la même énergie, si les clubs et les journaux de la démagogie ne lui avaient donné l’éveil ? Gardons-nous donc de nous montrer trop sévères pour les clubs ; ce serait de l’ingratitude ! Sans chercher, suivant le précepte et la méthode du bon abbé de Saint-Pierre, les moyens de les « utiliser, » n’oublions pas qu’ils ont rendu, qu’ils nous rendent encore, tous les jours, au moins des services involontaires.


G. DE MOLINARI.