Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plupart des chaînes de montagnes de l’Europe centrale ; on le cultive avec succès dans des terrains caillouteux, et même on l’emploie à l’ornement des parcs. Dans la Haute-Engadine, il acquiert des proportions égales à celles des arolles. Arbre d’une remarquable élégance, ayant des branches très étalées qui pendent vers la terre, le mélèze est parmi les espèces de la famille des conifères le représentant du saule pleureur. Ses feuilles minces et polies, qui se renouvellent à chaque printemps, ont toujours la fraîcheur de la jeunesse. Le bois du mélèze a tant de belles qualités qu’on le recherche pour une foule d’usages. Dur, imprégné de résine et de la sorte capable de résister à l’humidité comme à un séjour prolongé dans l’eau, il est parfait pour les constructions navales. Cette opinion, consacrée dans la république de Venise, est maintenant bien reconnue en Russie. Quel avantage encore, sous les rudes climats, offrent les demeures où les toitures et les cloisons sont faites avec le bois du mélèze ! Les jointures, les moindres interstices sont remplis de la résine qui suinte et devient un vernis impénétrable à l’air. Ce n’est pas tout ; le mélèze est un combustible assez difficile à enflammer, mais qui dégage une quantité de chaleur plus forte que les autres bois ; l’écorce sert au tannage, et le produit résineux qui exsude de cette écorce est la térébenthine de Venise, une substance des plus estimées.

Les forêts de mélèzes et d’arolles, qui étaient très considérables sans doute dans les temps anciens, couvrent encore aujourd’hui de larges surfaces. Il y en a de belles entre Sils et Silvaplana, aux environs de Scanfs et de Pontresina, sur les pentes du Bernina, du Roseg et du piz Languard, Elles rendent possible au voisinage des glaciers l’existence d’une population, et, chose incroyable, les habitans, sans souci de l’avenir, se préoccupent à peine de la conservation d’une telle richesse. Seuls, quelques esprits clairvoyans signalent le danger et cherchent à conjurer un mal qui pourrait devenir irréparable. Comme en d’autres parties des Alpes, des causes fort diverses contribuent au déboisement de l’Engadine. Les avalanches brisent les arbres, les torrens, grossis à l’excès, les déracinent, les masses d’eau provenant d’une fonte extraordinaire de neige ou de glace se répandent avec fureur et couvrent le sol de débris arrachés sur le parcours. Ce sont des accidens de la nature, il faut les subir ; mais la destruction permanente occasionnée par l’incurie ou par la rapacité est bien autrement grave. Les bestiaux abandonnés au caprice rongent les jeunes plants ; les pâtres venus d’Italie, échappant à toute surveillance, coupent des troncs sans le moindre ménagement, cassent des branches pour avoir du chauffage. Ce qui doit étonner plus encore, c’est le sacrifice consommé dans plusieurs