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s’imagine voir à quelques pas de distance. Semblable à une large pyramide capricieusement entaillée, le Roseg, dont le sommet est à 3,927 mètres au-dessus du niveau de la mer, paraissant comme isolé malgré le voisinage d’une multitude de montagnes, produit à toutes les heures du jour un effet saisissant. Le ciel est-il couvert, la base de l’énorme montagne se trouve assombrie, et seule la cime montre son éternelle blancheur ; la lumière commence-t-elle à se répandre, dans l’espace, des parties du glacier étincellent et charment les yeux ; le soleil est-il à son coucher, la glace se colore de teintes roses ou rougeâtres. Il nous arriva de témoigner à d’heureux propriétaires des jolies maisons de Pontresina l’impression que nous faisait éprouver l’aspect de cette montagne déjà souvent contemplée. — Ah ! répondit l’un d’eux, aujourd’hui que les étrangers viennent en ce pays, nous admirons, aussi notre glacier, tant nous avons vu qu’on l’admirait, car à une autre époque nous le maudissions bien un peu ; il nous cause du froid. — Il faut moins trois heures de marche pour atteindre ce Roseg, que, sans un avertissement, nous aurions pu croire si rapproché du village. En arrivant sur les premiers contre-forts du glacier, la montée devient rude ; mais ceux qui ont le courage de continuer l’ascension et de gravir l’Alpe Ota peuvent jouir d’un panorama de la Haute-Engadine.

Au sud de Pontresina, le glacier de Morteratsch et le massif des montagnes du Bernina forment une colossale barrière entre l’Engadine et la Valteline. A peu de distance du village, l’eau qui coule du val Languard fournit une chute très remarquée dans le pays ; l’eau qui s’échappe du Bernina, un assez large ruisseau. De tous côtés, les plantes alpines, les arbres verts, quelques huttes de bergers animent le paysage. Cependant le sol en certains endroits conserve la trace des ravages causés par des averses et une fonte de glace inusitée survenues en 1834 ; des bois ont été détruits, des pâturages ensablés. La montée commence à peine, et déjà, par un sentier tracé près d’une immense roche de granit, on arrive sous le glacier, dont la partie supérieure en saillie menace les imprudens. Parfois des blocs de glace se détachent ; l’eau, en une large nappe d’un aspect merveilleux quand elle est éclairée par le soleil, tombe d’une grande hauteur sur les roches brisées, les pierres amoncelées, et produit un fracas assourdissant. Par un chemin inégal, rocailleux, on parvient à la surface du glacier de Morteratsch, qui s’étend sur une longueur de 9 kilomètres et se confond avec la mer de glace du Bernina. Les éminences, les arêtes, les pics, se comptent par centaines, et parmi tous se distinguent le pic de Morteratsch et surtout le piz di Palü et le piz Bernina, dont la cime est à 4,054 mètres au-dessus du niveau de la mer.