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aventuriers. « Nous ne fûmes jamais plus puissans que nous ne le sommes aujourd’hui, dit Démosthène dans une de ses Philippiques : troupes, vaisseaux, finances, ressources diverses pour la guerre, soutiens et forces d’un état, rien ne nous manque ; mais tout cela devient inutile et de nul secours : , grâce à la vénalité de nos traîtres. » Des sommes considérables étaient dépensées pour les fêtes, les spectacles et les édifices, au détriment de la défense, car le plaisir et les belles choses étaient la passion dominante des Athéniens. « Voyez, dit ailleurs le grand orateur, voyez ceux qui ont dirigé ces ouvrages : les uns se sont bâti des maisons dont la magnificence insulte aux édifices publics, les autres ont acheté et possèdent plus de fonds de terre qu’ils n’en ont jamais espéré dans leurs vœux. » Aussi l’esprit de parti, qui se faisait une arme de tels désordres contre ceux qu’il voulait renverser, n’avait-il pas grand-peine à soulever les plaintes du peuple. Les hommes au pouvoir ou en crédit prêtaient certes le flanc aux attaques ; mais celles-ci bien souvent, au lieu d’être inspirées chez les gens qui s’en faisaient les promoteurs par un sincère désir d’arrêter le mal, n’étaient que l’expression de mesquines rancunes, que la vengeance d’amours-propres blessés. Il ne s’agissait dans bien des cas pour le contradicteur que de se faire attribuer le maniement des deniers de l’état, afin de les employer à son profit. Ceux qui gouvernaient avaient jadis, lorsqu’ils n’étaient pas encore au pouvoir et quand ils s’efforçaient d’y arriver, attaqué ces mêmes dilapidations dont ils se rendaient ensuite coupables, écoutons plutôt Démosthène dans sa belle harangue sur le gouvernement de la république. « Non, ce n’est pas en vue du bien général, mais suivant qu’ils se trouvent dans le besoin ou dans l’aisance, que les uns approuvent et que les autres condamnent l’usage des distributions. »

Ces accusations dirigées contre le gouvernement et ses délégués, quelque fondées qu’elles pussent être, ébranlaient le respect dû aux magistrats et bien tôt à la loi elle-même, dont ceux-ci étaient l’incarnation. L’insubordination, l’aversion de toute hiérarchie, éclataient au sein des classes populaires. Un esprit d’égalité jalouse et dénigrante rendait presque toute discipline impossible. C’était là du reste tramai déjà très ancien à Athènes ; il n’avait fait que grandir, le menu peuple y ayant depuis longtemps été plus favorisé que partout ailleurs. « Je dis, écrit Xénophon, que c’est une justice chez les Athéniens de donner l’avantage aux pauvres et au peuple sur les nobles et sur les riches, parce que c’est le peuple qui fait la marine et qui constitue la force de la république… Cela étant, on trouve juste qu’ils participent tous indistinctement aux charges qui dépendent du sort et de l’élection, et que qui veut, parmi les citoyens, ait le droit de