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pas loin de la France, à quelques centaines de lieues de leur pays, au milieu de populations étrangères, mais chez nous, sur notre sol, derrière les remparts de nos forteresses ! L’Allemagne seule vient de nous faire en trois mois plus de prisonniers dans l’intérieur de notre pays que toute l’Europe ne nous en a fait pendant vingt ans de combat hors de nos frontières. Kléber, bloqué en Égypte par la flotte anglaise, ne pouvant ni recevoir de France un seul renfort, ni traverser la mer pour échapper à l’ennemi, rompit cependant la convention d’El-Arich, lorsqu’il apprit que les Anglais, au lieu de transporter l’armée française à Toulon avec les honneurs de la guerre, comme il le demandait, exigeaient qu’elle se rendît prisonnière et déposât les armes. On ne répond à de telles insolences que par la victoire, dit-il fièrement, et avec ses 12,000 hommes il reprit la lutte contre 80,000 combattans, soutenus par une population fanatique. Masséna, enfermé dans Gênes avec 15,000 soldats, cerné du côté de la terre par 40,000 impériaux, du côté de la mer par les Anglais, condamné a capituler, faute de vivres, au milieu d’un peuple soulevé et mourant de faim, sauva du moins son artillerie ainsi que ses bagages, et obtint que les 8,500 hommes qui composaient les débris de sa garnison sortiraient en armes par la route de la Corniche pour rentrer librement en France. Gouvion Saint-Cyr, qui, après le désastre de Leipzig, se trouvait coupé de l’armée française avec 30,000 hommes, ne se justifia jamais complètement du reproche de mollesse et d’indécision lorsqu’il mit bas les armes devant 80,000 ennemis, quoique la route de France lui fût fermée, et qu’il ne lui restât aucun espoir de se frayer un passage à travers toute l’Allemagne. Encore n’avait-il capitulé que sur les pressantes instances des habitans, pour préserver la ville des horreurs du typhus, à la condition expresse d’ailleurs que ses soldats rentreraient en France par journées d’étapes, et demeureraient libres, après échange, de reprendre du service dans l’armée française. Si par ordre de l’empereur Alexandre la garnison de Dresde demeura prisonnière de guerre, ce fait fut toujours considéré comme une violation formelle d’un engagement écrit, et justement reproché aux vainqueurs.

Ajoutons qu’aucun de ces trois généraux ne rendait, avec son armée, une place française, des arsenaux français, un matériel de guerre considérable appartenant à leur pays. S’ils avaient eu à livrer des centaines de canons et des milliers de fusils d’un modèle perfectionné, ils auraient sans doute brisé leurs armes avant de signer une capitulation qui allait permettre à l’ennemi de s’en servir contre la France. Les militaires s’expliquent difficilement que le maréchal Bazaine ait recommandé à ses soldats de ne détruire ni les mitrailleuses ni les chassepots, comme si une garantie qui ne se trouve