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vaient trop ce qu’ils allaient demander, contre quoi ils allaient protester. M. Gustave Flourens, mieux avisé, savait probablement où il allait, ce qu’il voulait, et, en vrai général qui ne néglige rien, il commençait par laisser à ses hommes, comme il l’a dit, « le temps de manger et de se bien armer, afin de pouvoir marcher en bon ordre et agir sérieusement. » Bien entendu, avec sa sagacité de commandant en chef de l’expédition, il n’avait pas oublié de « distribuer des cartouches. » S’il n’était pas le premier à faire son entrée à l’Hôtel de Ville avec les « braves tirailleurs » qu’il traînait à sa suite, s’il avait été devancé par bien d’autres, dès son arrivée il n’était point à coup sûr le dernier à donner le signal de l’action et à dégager le vrai sens de cette manifestation pacifique, qui se traduisait par l’envahissement de l’Hôtel de Ville, par la séquestration momentanée du gouvernement et par la proclamation non moins momentanée de la commune au nom du peuple.

Qui pourrait dire ce qui se passait alors à l’Hôtel de Ville ? Les héros de cette étrange et déplorable aventure ont raconté eux-mêmes ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont cru voir, et il est difficile en vérité de se reconnaître dans ce tourbillon d’anarchie. Ce qui est bien certain, c’est que dans ce grand palais, théâtre de tant de grandes révolutions, se déroulaient pendant quelques heures des scènes indescriptibles où tout pouvoir avait disparu, où l’on ne savait plus qui était le gouvernement, puisque tout le monde voulait l’être, puisque chacun se disait acclamé par le peuple. Quant au gouvernement du 4 septembre, au gouvernement déchu, comme on l’appelait déjà, celui-là était bel et bien séquestré. M. Gustave Flourens, prenant le commandement, comme il l’a dit avec fierté, et monté sur une table, gardait ce malheureux gouvernement à vue, faute de pouvoir l’envoyer sous bonne escorte dans une prison plus sûre. On n’en était pas encore là, on ne se sentait pas la force nécessaire, et on se tenait aux aguets pour savoir si l’on ne serait pas troublé dans cette glorieuse besogne. Pendant ce temps, le pouvoir nouveau, dont M. Flourens était pour le moment le général fort occupé, ce pouvoir essayait de se débrouiller de la confusion de toutes les listes qui se succédaient et qui variaient avec les groupes ! M. Blanqui, accouru l’un des premiers « au poste où l’appelait la volonté populaire, » M. Blanqui se mettait sérieusement à l’œuvre, libellant déjà des décrets, donnant l’ordre de fermer toutes les barrières de la ville et d’interdire les communications « qui pourraient informer l’ennemi des dissidences soulevées dans Paris. » M. Blanqui ne doutait vraiment pas de lui-même, et il aurait continué longtemps encore à rédiger ses ordres, si des gardes nationaux n’étaient venus le déranger. Ce qu’il y a de plus particulier, c’est que ces étranges conquérans qui s’instituaient sans façon dictateurs de Paris n’avaient pas même un prétexte quelconque dont ils pussent se servir pour déguiser leur usurpation. Ils prétendaient que les maires de Paris, rassemblés en ce moment à