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la Belgique. Coutelle, après bien des difficultés, parvint à rejoindre nos avant-postes, d’où il fut conduit devant Duquesnoy, commissaire de la convention à l’armée du Nord. Celui-ci ne comprit rien à l’invitation du comité de salut public. « Un ballon dans le camp ? dit-il à Coutelle ; vous m’avez tout l’air d’un suspect, je vais commencer par vous faire fusiller. » On réussit pourtant à calmer Duquesnoy, qui renvoya Coutelle au général Jourdan. Malheureusement l’ennemi était proche, une attaque était imminente, et il, n’y avait pas un instant à consacrer à des expériences. Tout en comprenant l’utilité du moyen proposé et en y donnant son assentiment, Jourdan dut en ajourner l’application. Coutelle revint à Paris, et fit dans le château de Meudon de nouveaux essais suivis d’ascensions remarquables. Sur l’ordre du gouvernement, il organisa une compagnie d’aérostiers formée d’hommes habitués à toutes les manipulations et manœuvres que comportent le gonflement et la conduite des ballons. Peu après, il se rendit à Maubeuge, où l’armée venait de rentrer, choisit un emplacement pour la préparation du gaz, et disposa tout en attendant les équipages qu’il avait expédiés de Meudon. Les aérostiers étaient suspects à l’armée et produisaient sur elle une impression désagréable. Pour mettre un terme à ce sentiment de défiance dont il s’était aperçu, Coutelle demanda et obtint la permission d’emmener sa compagnie à la première affaire. Une sortie devait avoir lieu le lendemain contre les Autrichiens retranchés à une portée de canon ; la petite troupe y fut employée et s’en tira vaillamment. Les équipages étant arrivés, Coutelle entreprit la préparation du gaz, le gonflement des ballons, et l’on put commencer à reconnaître les positions de l’ennemi.

Deux fois par jour, tantôt seul, tantôt en compagnie de Jourdan lui-même, Coutelle s’élevait avec son ballon captif, l’Entreprenant, la manœuvre de l’aérostat s’exécutait avec le plus grand silence, et la correspondance avec les personnes qui retenaient les cordes se faisait au moyen de petits drapeaux de couleur. Ces signaux servaient à indiquer aux conducteurs les mouvemens à exécuter, monter, descendre, avancer, etc. ; un moyen analogue servait à envoyer des ordres au capitaine de l’aérostat. Ce dernier transmettait le résultat de ses observations par des notes manuscrites attachées à de petits sacs de sable qu’il jetait sur le sol, et qui étaient apportés au général en chef. Jourdan tirait un grand parti de ce nouveau moyen d’observation. Il se disposait à investir Charleroi, place importante éloignée de douze lieues du point où se trouvait l’armée française ; Coutelle dut s’y transporter avec son ballon tout gonflé, le temps ne permettant pas de le vider pour le remplir de nouveau. Le ballon, maintenu en l’air à une petite hauteur, fut traîné par vingt aérostiers et quitta la place au point du jour, avec la cavalerie et les