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Cet accord parfait entre les institutions militaires et les institutions politiques dura de l’an 800 à l’an 150 environ. Il explique pourquoi la cité fut alors infiniment moins troublée qu’elle ne l’avait été dans l’époque précédente. C’est ici le temps où Rome jouit du plus grand calme intérieur, et c’est aussi le temps où ses armées eurent le plus de force, de discipline et de succès.


III

L’aristocratie de la richesse, qui avait remplacé le vieux patriciat, gouverna Rome sans contestation jusque vers l’an 150 avant Jésus-Christ. Il lui fallut déployer une merveilleuse habileté pour conserver si longtemps le pouvoir en dépit d’une constitution qui proclamait l’égalité et paraissait démocratique. Cette oligarchie eut le mérite de tenir la cité en repos, et c’est à elle aussi que Rome dut la plus grande part de ses conquêtes ; mais à force de diriger la politique intérieure et extérieure en vue de ses intérêts particuliers et de ses spéculations, à force d’accaparer dans ses mains les domaines de l’état, les terres conquises, tous les profits de l’empire, elle atteignit ce résultat, qu’en s’enrichissant outre mesure, elle avait créé au-dessous d’elle une immense populace inoccupée, misérable, paresseuse, vénale et corrompue. Les graves inconvéniens de cette situation apparurent vers l’an 150. Cette classe populaire surgit tout à coup, mécontente et souffrante, en face de l’oligarchie, et alors se manifestèrent les symptômes d’une chute prochaine de ce gouvernement des riches.

S’il y a une vérité qui ressort de toute l’histoire romaine, c’est bien celle-ci : Rome ne sut jamais établir la démocratie. On ne saurait dire si cela tient au caractère de son peuple ou à sa situation de grande dominatrice ; ce qui est certain, c’est qu’à aucune époque de son histoire la vraie démocratie, telle que nous la trouvons par exemple à Athènes, ne put se constituer. Elle ne sut jamais trouver les conditions dans lesquelles ce. gouvernement peut vivre, et, à vrai dire, elle ne paraît même pas les avoir sérieusement cherchées. Les Gracques seuls et quelques hommes de leur entourage songèrent à la faire entrer dans une voie démocratique. Ils essayèrent, en donnant du travail et des terres aux pauvres, de corriger les vices économiques, politiques, moraux de la société romaine ; mais on peut douter que les Gracques aient été compris de leurs contemporains, et leur tentative ne répondît certainement ni aux pensées ni aux passions de leur époque. Ils rencontrèrent une double opposition ; celle des riches, contre lesquels ils agissaient, et celle des pauvres, pour lesquels ils travaillaient. Ni les