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metteurs en scène : il faut bien rabattre de ce qu’ils montrent comme acquis. Bien de moins consistant qu’une échelle de salaires poussée si loin. Il a fallu, pour la rendre possible, les abus du papier-monnaie ; elle ne résisterait certes pas au retour des paiemens en or. Jusqu’à un certain point, il est vrai, le papier est aux États-Unis convertible en espèces à un cours déterminé ; oui, mais pour des quantités également déterminées, si le change est réel, et dans la plupart des cas pour des quantités fictives. Dans une conversion intégrale, on verrait cesser le règne des services surfaits, comme le sont ces salaires d’ouvriers. Ils n’ont pu s’établir et durer qu’au moyen d’une circulation irrégulière ; ils ne survivraient pas au retour des garanties les plus élémentaires du crédit. Ce n’est pas tout ; l’ouvrier rend d’une main ce qu’il a reçu de l’autre : cette plus-value de son travail est à peine la compensation des charges que les taxes lui imposent. Point d’objet de consommation que le tarif n’atteigne aux dépens de ses petites finances ; le thé, le café, les fils, les toiles, les confections, les fers, les tissus riches ou communs, la mercerie, les meubles, coûtent sur le marché américain, après l’acquit des droits, un tiers, quelquefois moitié plus qu’ils ne coûteraient dans les entrepôts. Dans un document officiel, le commissaire spécial du revenu, M. Wells, a même établi, preuves en main, qu’entre 1861 et 1867, c’est-à-dire dans une période de sept années, la vie aux États-Unis a renchéri de 80 pour 100, tandis que les salaires n’ont monté que de 60 pour 100. Il donne le détail et cite les chiffres ; la démonstration est complète, la conclusion forcée. L’ouvrier est surpayé, et à son tour il surpaie ; c’est la loi du talion. Comment en serait-il autrement et de quoi se plaindrait-il ? Il n’est pas le plus mal partagé, comme on le voit dans les tableaux que nous avons analysés. Voici par exemple un imprimeur sur rouleaux qui gagne, à une petite fraction près, 200 francs par quinzaine, c’est-à-dire 400 francs par mois ou 4,800 francs par an. L’homme sans doute est habile dans son art et répond des malfaçons ; mais de tels émolumens couvrent bien des risques. Or on a en France l’équivalent au moins de cet ouvrier pour 60 francs par quinzaine, 120 francs par mois, 1,440 francs par an. Cet écart n’est-il pas significatif ? N’est-il pas surtout de nature à faire naître des doutes sur la solidité de contrats de louages où les mêmes bras, dans les mêmes conditions, se paient trois fois plus cher de l’autre côté de l’Atlantique que de ce côté ? N’importe, le fait existe ; il ne constitue pas une exception, il est général : c’est, toutes réserves faites, le point essentiel à retenir.

Maintenant, par la force des choses, on est conduit à le rapprocher de cet autre fait, que les districts manufacturiers de l’Amérique