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chevaux. La chevalerie française vint bravement offrir la partie à la chevalerie impériale, qui accepta le combat. Cette « belle escarmouche, » comme l’appelle Brantôme, « dura quasi tout le jour. Il n’y alla rien du nôtre que tout bien, » et après un engagement obstiné l’ennemi fut obligé de reculer. Trois jours après, le duc d’Albe revint avec des masses compactes et reprit la position. Le grand nombre des Allemands, dit Salignac, devait suffoquer les nôtres de leur seule haleine. Au pont de Magny, quelques jours après, le duc de Vendôme, Nemours, Farnèse et La Rochefoucauld disputèrent le passage aux impériaux ; mais ils furent obligés de céder aux troupes fraîches qu’on y envoyait sans cesse pour recommencer la charge, de sorte que l’ennemi, ayant passé la Seille, s’empara des abbayes de Saint-Arnoul et de Saint-Clément, en face de la porte de Champagne. Dans ce moment, Louis Davila, général de la cavalerie ennemie, envoya un trompette au duc de Guise pour réclamer un esclave fugitif qui lui avait enlevé un cheval de prix auquel il tenait beaucoup. Le duc fit chercher le cheval, le racheta de l’acquéreur et le renvoya à Davila, auquel il fit répondre que, pour l’esclave, il était devenu libre en mettant le pied sur le sol français, et qu’il ne pouvait en disposer.

Vers le même temps, le duc d’Aumale, frère du duc de Guise, que le roi avait envoyé avec un corps de cavalerie au secours de la place assiégée, et spécialement pour suivre Albert de Brandebourg comme ennemi ou l’observer comme suspect, ayant ouï que le margrave, après sa jonction avec l’empereur, se disposait à une attaque, vint lui présenter la bataille, qui fut reçue sans hésitation. Albert se battit bien, fit le duc d’Aumale prisonnier, et en tira plus tard 60,000 écus d’or pour sa rançon. La nouvelle de cet échec attrista le duc de Guise ; mais la joie qu’en éprouva l’empereur fut bientôt modérée par un retour de fortune plus sensible. Dans une brillante sortie, Brissac avait fait le duc d’Albe prisonnier. Charles-Quint, quoique malade, se montrait de sa personne, encourageait de son mieux les assaillans. Son artillerie foudroyait la ville ; le 24 novembre, on avait tiré plus de 5,000 coups de canon. On prétend qu’à certain jour de décembre on avait été jusqu’à 14,000 coups, et qu’on entendait le bruit de Strasbourg. C’était une opiniâtreté, un acharnement incroyables ; « mais à toute heure, dit Brantôme, les assiégés faisaient les plus belles sorties du monde, qui valaient bien des soutènement d’assauts, et donnèrent à songer aux ennemis. Ces saillies se faisaient à pied, jusques à fausser les tranchées souvent, et à cheval bien loin de la ville, et surtout sur le camp du marquis Albert, à qui M. de Guise en voulait spécialement. » Le duc de Guise, jugeant bien que l’empereur, s’attachant à ce siège avec une si vive obstination, ne pouvait le lever avec honneur