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personnalité ne passionna plus vivement les contemporains. Ils avaient le secret de tout ce qui émeut, passionne, entraîne les hommes, et François de Guise plus qu’aucun autre de sa race : grand par la fortune et par le sang[1], grand surtout par l’élévation de l’âme et la hauteur du caractère, il fut aussi l’un des plus renommés capitaines de son temps. Personne n’a dominé la noblesse française avec plus de puissance que François de Guise. Il avait l’instinct de la fibre française, et nul ne l’agita plus profondément que lui. En deux occasions suprêmes, la France mit en lui son espoir et n’y fut pas trompée, — au siège de Metz d’abord, puis, après la bataille de Saint-Quentin, où François de Guise, rappelé d’Italie au milieu d’un désarroi universel, releva comme par enchantement les courages en arrachant aux Anglais le dernier lambeau de leur invasion de cent ans, la ville de Calais, réputée par eux imprenable, et dont ils avaient fait un Gibraltar anticipé. On ne saurait dire combien Metz et Calais ont occupé la France au XVIe siècle.

Le bruit des préparatifs de Charles-Quint pour son expédition en Lorraine retentissait dans toute l’Europe ; il y venait de sa personne, suivi du célèbre duc d’Albe, de Louis d’Avila, du marquis de Marignan et de ses plus fameux capitaines d’Espagne, d’Italie et des Pays-Bas, traînant avec lui une artillerie formidable pour l’époque et toutes les bandes allemandes que la paix de Passau rendait disponibles à son service. L’opinion publique indiquait François de Guise pour défendre cette terre de Lorraine, berceau de sa race, théâtre de la gloire de ses pères, et siège principal de leur fortune. Il y accourut avec ardeur, et toute la noblesse de France vint se ranger sous sa bannière. Les princes du sang royal, les Condé, les Vendôme, étaient en tête, et autour d’eux les frères de François de Guise, puis les Montmorency, les Rohan, les Nemours, les Coligny, les La Rochefoucauld, les Luxembourg, les Cossé-Brissac, les Biron, la plus renommée chevalerie de France, tous déterminés à s’ensevelir sous les ruines de la ville de saint Arnoul et de Godefroy de Bouillon. Le 18 août, le duc de Guise prenait possession de la place, et en visitait les fortifications. Il n’avait pas beaucoup de canons, mais il disait que « l’esprit d’une troupe est sa meilleure artillerie. » Cependant il s’en pourvut à suffisance.

François de Guise avait amené avec lui d’Italie un auxiliaire précieux, illustré dans les guerres de la péninsule par la science spéciale des sièges : je veux parler de Pierre Strozzi. L’art de l’attaque et de la défense des places était alors déjà changé par la

  1. L’aïeule de François de Guise était Yolande d’Anjou, fille du roi René ; sa mère était Antoinette de Bourbon, fille du premier prince du sang ; sa sœur était reine régente d’Écosse ; sa femme était petite-fille de Louis XII, et sa nièce, Marie Stuart, était alors dauphine de France.