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Quoi qu’il en soit, l’empereur, enhardi par les événemens, entra résolument dans la voie des actes despotiques. Il décréta l’interim d’Augsbourg, qui était un essai de papauté impériale, se livra vis-à-vis des personnes à des rigueurs qui rappelaient Frédéric-Barberousse, et y mêla des raffinemens odieux.

Les princes les plus influens de l’Allemagne étaient l’électeur de Saxe, l’électeur de Brandebourg et le landgrave de Hesse ; le premier avait été le soutien le plus constant de Luther. C’était au sein de ses états, à Wittemberg, que le grand réformateur avait préparé, prêché, promulgué sa doctrine ; le second avait profité de la réforme pour séculariser les grands évêchés de la Marche électorale, mais il s’abstint de la ligue de Smalkalde. L’Allemagne protestante du nord avait encore dans la personne du duc de Mecklembourg un de ses princes les plus autorisés et les plus considérables. Le landgrave de Hesse, Philippe le Magnanime, était encore plus redoutable dans l’Allemagne du sud ; sa courageuse résistance à la spoliation du duc de Wurtemberg avait tenu en échec la puissance impériale et vivement agité les esprits. Croyant le moment venu de frapper un grand coup, Charles V s’attaqua directement à ces chefs renommés du parti protestant. A la diète de Ratisbonne du 20 juillet 1546, il en mit trois au ban de l’empire. Le landgrave terrifié se soumit d’abord (1547) ; Ulrich de Wurtemberg en fit autant. Quant à l’électeur de Saxe, Charles V lui réservait un coup plus sensible. Jean-Frédéric avait dans sa famille même un jeune cousin, Maurice de Saxe, dont il avait méconnu l’intelligence et le caractère, et dont il s’était fait un irréconciliable ennemi en froissant son orgueil. Maurice avait embrassé la réforme, comme Jean-Frédéric, et il y tenait d’affection ; mais il avait encore plus à cœur la haine de l’électeur son parent : aucune médiation n’avait pu la calmer. Beau jeune homme, ardent, ombrageux, brave, ambitieux autant qu’habile, il fut un des princes les plus remarquables de cette étrange époque, et il devint l’instrument de la politique de l’empereur. Charles V proscrivit Jean-Frédéric, et choisit Maurice pour remplacer le proscrit dans la dignité électorale et ducale. Maurice en fut enivré, Jean-Frédéric accablé. Charles V distingua aussi dans la maison de Brandebourg un jeune homme également engagé dans la réforme, remuant, ambitieux, violent, brillant de courage, Albert, surnommé l’Alcibiade. Il le séduisit, comme il avait séduit Maurice ; mais, se défiant du bouillant margrave, il ne lui donna que des espérances. Albert et Maurice, capitaines désormais de Charles-Quint, vont jouer un tel rôle que nous avons dû signaler ces deux figures historiques.

Les proscrits de Ratisbonne, revenus de leur premier abattement,