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n’en font qu’à leur tête, ils trouvent injuste la loi qui les a rappelés après sept ans de service ; la vie civile leur a donné des habitudes d’indépendance et de comfortable, ils ne connaissent ni leurs chefs ni leurs camarades : cette cohésion si nécessaire du bataillon et de la compagnie est perdue pour toute une partie de l’armée. De plus ces hommes doivent se servir de fusils nouveaux dont le maniement leur est inconnu. Ceux qui viennent de Reischofen et qui battent en retraite depuis trente jours commencent à se décourager : le Français veut aller en avant ; sinon, il doute de ses chefs, il ne comprend rien à ce mois de fatigues durant lequel il n’a pas vu un ennemi. On se plaint de l’intendance, qui, dit-on, ne fournit pas les vivres nécessaires ; les bruits les plus exagérés s’accréditent au milieu de cette foule. On commence à dire : « Nous serons trahis. » Le maréchal Mac-Mahon est resté deux jours ici dans la maison du maire ; on raconte que les officiers ont requis toutes les cartes du département des Ardennes qu’on a pu découvrir dans le pays ; le receveur des domaines et quelques notables en ont trouvé dix ou douze. Ils nous confirment le fait, que nous avions peine à croire, ajoutant qu’on est allé dans les environs et jusqu’à Sedan pour s’en procurer d’autres. On a vu l’empereur se promener un instant sur la place des Halles ; il pouvait à peine marcher, et quand il est rentré chez le maire, il a fallu le soutenir : il dissimulait mal un abattement profond. Au départ seulement, il a trouvé des paroles courtoises pour l’hôte qui l’avait reçu. On parle d’altercations très vives qui se seraient élevées entre les chefs de corps. « Je savais, général, que vous étiez un sot, j’ignorais que vous fussiez un lâche. » La nouvelle du remplacement du général de Failly s’est répandue aujourd’hui dans l’armée ; elle est certaine. Le maréchal Mac-Mahon était triste, il a refusé le champagne que lui offrait le maire. Durant ces deux jours, les conseils de guerre ont été nombreux et pour ainsi dire en permanence ; ils se tenaient dans la salle à manger, au rez-de-chaussée. L’empereur n’y assistait pas ; mais le maréchal entrait quelquefois dans sa chambre, qui était en face, de l’autre côté du corridor. Le maréchal a changé trois fois la marche de ses troupes, il attendait des nouvelles de l’armée de Metz, nouvelles qui ne sont pas arrivées. En vain a-t-il envoyé exprès sur exprès. On rapporte qu’il aurait dit à son état-major au moment de partir : « Allons, messieurs, tout est décidé, il ne nous reste plus qu’à mourir gaîment ! »

Le maire du Chesne a recueilli un grand nombre de malades pour lesquels il demande des infirmiers. Le docteur en chef, qui nous a toujours témoigné un vif intérêt, nous offre, à mon ami et à moi, de rester ici, d’organiser avec le médecin cantonal les premiers